
Un événement « négligeable et considérable » : Le transfert d’une relique de saint Gaucher à Gargenville
15 février 2025, la foule se presse dans la petite église Saint-Martin de Gargenville pour assister à une cérémonie qu’on pourrait croire d’un autre temps : le dépôt d’un fragment d’os de saint Gaucher dans le reliquaire rénové qui longtemps, a abrité une de ses côtes . Une longue histoire et un patrimoine restauré au service de la piété populaire, expression de la communion des saints à laquelle nous sommes tous invités.
Une mémoire toujours vive
La vie de saint Gaucher, au carrefour des XIe et XIIe siècles, entre Meulan et Aureil (87) où il fonda un prieuré de chanoines, se perd presque dans la nuit des temps. Les textes médiévaux en ont consigné les détails merveilleux, et au XVIIe siècle, François de Blois rédige une biographie[1] du saint ermite qui s’inspire de l’hagiographie ancienne. Mais après tant de siècles, fait-on encore mémoire de lui dans les lieux où il a grandi ? Une fontaine « Saint-Gaucher » existe toujours au hameau de la Chartre (Brueil-en-Vexin). On y avait placé une statue[2] qui a aujourd’hui deux copies – l’original étant conservé à l’église de Brueil-en-Vexin.

Reliquaire de saint Gaucher avec sa relique
À Gargenville, c’est le buste-reliquaire du XVIIe siècle qui attire les regards et portera désormais à nouveau les prières des fidèles : orphelin de sa relique depuis le vol de la côte de Gaucher à une date inconnue, l’objet serait resté un pieux souvenir, sans une audace du P. Alain Eschermann, curé de Limay-Vexin. Quand il se rend à Aureil pour la traditionnelle ostension limousine en 2023, il demande à l’évêque de Limoges, Mgr Bozo, une relique du saint. Un fragment d’os, conservé à la lipsanothèque[3] de l’évêché, est cédé pour être placé dans le reliquaire de Gargenville, au cours de la messe présidée par Mgr Bozo ce 15 février 2025. Ainsi se fortifie une dévotion à un religieux que le P. Eschermann présente comme « un homme de conciliation », valeur, dit-il, dont notre monde a tant besoin, tandis que Mgr Crepy insiste sur le Christ comme « modèle de toute sainteté ».
Le travail des artisans
Sans doute le transfert de la relique n’aurait-il jamais eu lieu sans l’existence d’un émouvant buste-reliquaire. Saint Gaucher y est représenté sous les traits d’un homme jeune, grave et serein, revêtu de la coule à capuchon propre aux religieux et de la dalmatique. Son visage n’exprime rien de sa longue vie d’ermite[4] : il ne porte pas les marques d’austérités ascétiques. L’œuvre ne décrit pas l’homme qui a vécu longtemps avant que le sculpteur ne façonne ce portrait mais, en suivant des canons esthétiques propres au XVIIe siècle, il fige un homme qui entre dans l’éternité bienheureuse et contemple à jamais la face de Dieu. Une fois encore, au-delà du visible, l’art sacré est une invitation à contempler l’Invisible.
Sculpté au XVIIe siècle, le buste-reliquaire n’est pas classé. Toutefois, sa restauration et son aménagement ont nécessité des contacts avec les conservateurs des objets d’art du Département, dont on a sollicité le conseil.
Après un dépoussiérage minutieux qui a rendu à l’objet ses nuances et son éclat, les artisans ont réparé le socle de bois léger fragilisé au fil du temps. Les soins d’un ébéniste de l’Eure, où le reliquaire fait un voyage, permettent enfin l’aménagement d’une logette pour accueillir la capsule renfermant le précieux fragment d’os, dans le socle[5], sous la cavité où était jadis abritée la côte de saint Gaucher. Dès lors, tout est prêt pour célébrer, en quelque sorte, le retour de saint Gaucher aux lieux de son enfance.
Quand la relique parle d’espérance

relique saint Gaucher
« Négligeable et considérable » : ainsi Monseigneur Pierre-Emmanuel Bozo décrit-il la relique qu’il a accompagnée jusqu’à Gargenville. La relique, dit-il, rappelle un homme qui a vécu, il y a dix siècles, entre Vexin et Limousin, un homme dont l’âme voit Dieu et s’en réjouit pour l’éternité, après avoir vécu une intense quête de Dieu en privilégiant la solitude. Cet objet de mémoire rappelle aussi que Gaucher a été un être de chair… et d’os ; il a tant marqué ses contemporains qu’on fait mémoire de lui un millénaire plus tard ! Mais cette « poussière négligeable » est avant tout une invitation à vivre l’espérance : si nous vénérons les reliques, c’est dans l’attente de la résurrection de la chair que nous confessons chaque dimanche, sans savoir comment elle se réalisera. Une chose est sûre : ce que Dieu a créé est bon et ne peut mourir à jamais ; nous sommes appelés à voir Dieu avec notre être tout entier. L’espérance donne la clef de ce qui s’est vécu ce 15 février à Saint-Martin de Gargenville : en célébrant, plus que le saint, le Christ, modèle de toute sainteté, les 250 fidèles qui s’y trouvaient rassemblés ont pu entrevoir « l’espérance de la gloire » (Col 1,27) pour repartir affermis dans leur foi.
Marie-Christine Gomez-Géraud
[1] On ne sait pas grand-chose de l’auteur, sinon qu’il est lieutenant-général au baillage de Meulan. Le texte original, publié en 1652 à Paris, chez Jean Billaine, est disponible sur le site de la Bibliothèque nationale de France (https://gallica.bnf.fr/ark :/12148/bpt6k1504899h?rk=21459;2). La paroisse de Limay-Vexin en propose une version modernisée plus accessible.
[2] L’histoire assez rocambolesque de cette statue a été relatée avec force détails dans Le Lien, n°67, février 2022, p. 7 (disponible sur le site https://www.catholiquesmantois.com).
[3] Le mot désigne le lieu où sont rassemblées des reliques. Au départ, il ne s’agit que de simples coffrets où l’on collectionne les restes saints. La relique cédée à la paroisse de Limay-Vexin mesure 7 x 4 mm.
[4] Suivant sa biographie, il meurt à quatre-vingts ans des suites d’une chute de cheval.
[5] Le choix de cet emplacement a été justifié par la nécessité de ne pas affecter le buste-reliquaire lui-même. Suivant les normes en vigueur, un nouvel authentique de la relique a été établi (il s’agit du document attestant son authenticité, signé par l’évêque), conservé désormais à la paroisse de Limay et à l’évêché de Limoges.