Table ronde sur la fin de vie – des pistes pour réfléchir
Jeudi 23 janvier, la pastorale de la Santé du diocèse de Versailles a organisé une table-ronde croisant les regards d’un philosophe, un médecin et une théologienne sur les enjeux de la fin de vie et des soins palliatifs. De quoi alimenter notre réflexion, nous poser les questions de notre propre implication dans l’accompagnement des personnes souffrantes en cette année jubilaire.
La Table ronde était animée par le père Pierre-Hervé GROSJEAN, curé et secrétaire général de la commission éthique et politique, en présence de Mgr Luc CREPY, évêque de Versailles, avec :
• Frédéric GUIRIMAND, professeur associé de médecine palliative à l’Université de Versailles Saint-Quentin (UVSQ – Paris Saclay),
• Frédéric VENGEON, professeur de philosophie en CPGE au lycée Hoche,
• Isabelle LESAGE, théologienne, ancienne directrice des hôpitaux
Les trois participants apprécient le fait que ce débat de société mette le sujet de la souffrance et des soins palliatifs sur le devant de la scène. Ils regrettent tout de même que ceux qui en parlent le plus soient des biens portants. Où est la voix des malades ? Tous s’accordent pour dire que derrière la demande d’euthanasie, il y a un manque d’information sur l’état du malade et les soins possibles, une peur d’être un fardeau, peur de la souffrance, de la mort. C’est aussi la peur du dialogue avec le proche malade dans ces moments si importants ou le temps est compté. L’important c’est la densité des échanges.
Des lois qui fixent un cadre
Frédéric GUIRIMAND a rappelé que les précédentes lois avaient posé des cadres salutaires pour le patient :
- la limitation de l’obstination déraisonnable : La question n’est plus d’aller jusqu’au bout de la technique depuis 2005. Les actes doivent être arrêtés lorsqu’ils sont inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. Le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité.
- la question sur le soulagement de la souffrance : Depuis 2016, toute personne a le droit à une fin de vie digne et au meilleur accompagnement de la souffrance notamment en utilisant les pratiques sédatives. On change de paradigme pour aller vers une priorité au soulagement de la souffrance quitte à sédater le patient.
“Le médecin, explique-t’il, doit rassurer le patient en fin de vie dans son choix éclairé : « je vais vous accompagner et ne vous abandonnerait pas » même s’il y a recours à la sédation (souvent temporaire pour faire face à une douleur inadmissible). La question éthique se pose quand la sédation est profonde et maintenue jusqu’au décès et associée à l’arrêt des traitements de maintien en vie. Le mieux est d’avoir anticipé les choses avec le patient et sa famille.”
Frédéric VENGEON ajoute le point de vue du philosophe : “selon Aristote, la loi devrait nous rendre meilleurs citoyens et même une mauvaise loi peut nous y aider. On en discute, on peut éviter des confusions de sens et si la loi passe ce n’est pas non plus une injonction à l’euthanasie.”
Les intervenants sont plutôt d’accord avec l’idée de dissocier les soins palliatifs de l’euthanasie dans deux projets de loi distincts : Cela donnerait plus de visibilité et de moyens aux soins palliatifs et permettrait d’éviter la confusion qui ferait de l’euthanasie un soin. Le soignant ne donne pas la mort. La confiance envers le médecin doit demeurer.
Une question de qualité d’écoute
Frédéric GUIRIMAND continue sur la communication essentielle en fin de vie : “le droit du patient n’est pas toujours respecté” explique le médecin, “il arrive que l’entourage soit plus informé que la personne sur son cas. Cela peut créer des biais et des clivages. Le regard des uns et des autres peut être différent sur l’appréciation de la qualité de vie. Or, l’entourage ne peut jamais totalement savoir ce que ressent le malade et le médecin doit savoir aussi rassurer les proches. Il ne s’agit pas d’une question de moyens mais plus d’écoute, de compréhension de ce que l’autre vit. C’est souvent la relation qui soigne. Le patient douloureux a besoin que sa douleur soit reconnue, surtout le patient chronique. Il faut savoir oser affronter des situations complexes.”
En ce qui concerne l’euthanasie, ce médecin qui a longtemps travaillé en unité de soins palliatifs, certifie : “Nous n’avons jamais enregistré de demande en dehors d’un cadre de souffrance intolérable. C’est une demande fluctuante, les mots sont violents… De la part du patient, ce n’est pas du militantisme mais une incitation à changer les pratiques : « ce qui a été fait jusqu’à présent n’est pas suffisant, faîtes autrement. Ces patients nous interrogent sur ce qui a été fait jusqu’à présent, la façon dont ils ont subi le parcours de soin. ». Quand la douleur est entendue, prise en charge, le patient ne demande plus à en finir ; malheureusement les soins palliatifs sont souvent proposés un peu tard après un parcours de soin chaotique.
Isabelle LESAGE ajoute : “De nombreuses familles disent “c’est trop long”. Il y a dans notre société une perte de l’usage de la patience. Il s’agit donc de soutenir l’entourage. Par ailleurs, dans les pays qui légalisent l’euthanasie, on constate que ceux qui demandent sont les plus précaires. L’enjeu est d’entourer les plus isolés pour qu’ils n’aient pas cette demande par manque d’entourage et d’écoute.”
Où est le progrès ? Une question de dignité
“Le progrès c’est un changement qui est une amélioration. Les progrès techniques n’engendrent pas forcément des progrès sociaux ou éthiques. Le progrès est forcément du côté de la liberté. La loi a aussi pour fonction de protéger” explique Frédéric VENGEON. “L’autonomie du sujet est fondamentale mais en l’absolutisant cela conduit à des effets plus mortifères que vivifiants. Plusieurs enjeux autonomes dans ces projets de loi sont à mettre en relation. Quelle que soit sa position, chacun (le patient, son entourage, le corps médical, les porte-paroles des différents courants de pensée et le législateur), chacun veut respecter la dignité humaine. La dignité cela veut dire rang, rang en tant qu’homme devant Dieu, devant la loi ou par rapport aux autres êtres. La dignité de l’être humain, c’est l’exercice de la conscience réfléchie. Ma dignité ne dépend pas que de moi, elle est permise par les autres et donc les autres peuvent aussi m’y maintenir. Nous avons la charge de la dignité des autres.”
Pour Frédéric GUIRIMAND, la dignité est une question de relation. “Quel regard l’autre porte sur moi ? Cela va changer ma perception de moi-même. Malgré les plaies, les odeurs, l’incapacité, le regard de l’autre me permet de penser je suis encore un être humain digne malgré ce contexte de grande maladie. (…) Le progrès ne viendra pas de la recherche médicale mais de l’apprentissage de l’utilisation des traitements médicamenteux et non médicamenteux. Dans la diffusion des pratiques et de la culture palliative, il faut développer le traitement précoce, l’anticipation de la douleur, la prise en compte de la personne dans tous les lieux où elle passe.”
Pour Isabelle LESAGE : “Nous avons fait des progrès colossaux en matière de traitement de la douleur et d’accompagnement des personnes en mettant en place les soins palliatifs depuis 50, 60 ans. Ce qui serait un progrès ce serait d’offrir des soins palliatifs à tout le monde plutôt que dépenser dans une énième chimio ou IRM alors que le diagnostic est évident. On apprend, avec d’autres champs que la médecine, le juste usage de la technique. La mort est devenue tabou et les personnes ont une méconnaissance de ce qui va se passer. Tout l’enjeu est de montrer que cela peut se passer paisiblement avec une transmission, la célébration d’une vie écoulée.”
Quelle attitude du chrétien ?
“Face à une loi présentée comme compassionnelle, le premier devoir du chrétien est de montrer qu’une voie de vie est possible” poursuit Isabelle LESAGE “Qu’est-ce que je fais pour faire grandir la vie ? Ajouter de la vie aux jours, voilà la fraternité. Suis-je le gardien de mon frère ? Oui, nous sommes tous appelés à devenir des communautés de guérison. Donner au malade sa place dans la communauté même quand il doute.
Depuis le concile de Nicée il y a un devoir du chrétien à prendre soin. La plupart des personnes isolées qui souffrent n’ont pas conscience que l’Eglise peut être là à travers la communauté paroissiale. Le sacrement des malades est peu demandé. Nous avons à devenir des communautés compatissantes. Comment se mobiliser autour de personnes gravement malades ? Souvent elles disparaissent des radars en ne venant plus à la messe. Qu’elle est notre capacité à repérer, comment on s’organise ?
On peut comparer la fin de vie avec l’expérience de la Croix : peu nombreux sont ceux qui restent là au pied de la Croix. Ils manifestent ceux qui n’abandonnent pas, la présence dans le silence. Les personnes qui restent participent au mystère de la rédemption et de la résurrection : la mort, le mal n’ont pas le dernier mot. Il faut retrouver la tradition chrétienne de l’accompagnement spirituel de celui qui revient vers la maison du Père. Ce qui est premier n’est pas le sacrement des malades mais c’est la visite ; les malades doivent être au cœur des préoccupations de la communauté. (Cf : lettre de St Jacques).
Le Père Pierre-Hervé GROSJEAN propose de continuer la réflexion après cette table ronde, de porter dans la prière et encourager les députés et sénateurs. “C’est important de leur expliquer notre intérêt pour ces questions de fin de vie. La voix porte surtout si elle est encourageante. Beaucoup d’entre eux cherchent le bien commun. Invitez votre député ou allez le rencontrer ; ils sont à l’écoute par intérêt électoral ou vrai souci du bien commun.”
L’espérance par delà la mort
Mgr Luc Crepy a conclu ainsi la table ronde : “Dans ce sujet de société, il s’agit d’humaniser la fin de vie avec un approfondissement de ce qu’est la personne humaine : un être de relation qui vit grandit et meurt avec d’autres. “J’étais malade et vous m’avez visité” dit Jésus… Nous pourrions nous investir plus dans les EPHAD, les aumôneries d’hôpitaux, dans nos communautés… Vivre cela donne beaucoup de joie. C’est une rude expérience d’être bénévole mais on vit des choses fortes dans l’accompagnement de l’autre. Dans la foi chrétienne la mort ne nous fait pas moins peur mais dans cette année jubilaire cet accompagnement peut être le temps d’une espérance. “
Valentine Faure
On peut lire Samaritanus bonus : une lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 2020 sur le soin des personnes en phase critique et terminale qui met l’accent sur l’écoute.
La lettre de Saint Jacques
Le Chapitre 30 du livre du Deutéronome