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Prévention et lutte contre les abus dans l’Eglise : grand entretien avec Mgr Luc Crepy


 L’année qui se termine est l’occasion d’un point d’étape avec Mgr Luc Crepy sur le travail autour de la prévention et de la lutte contre les violences et agressions sexuelles sur mineurs dans notre Eglise diocésaine. 

Le retour des groupes de travail devant les évêques au cours de l’assemblée plénière d’avril dernier a été remarqué. C’était une étape cruciale ? 

Notre rencontre de Lourdes était particulièrement attendue : les neuf groupes de travail créés suite au rapport de la CIASE ainsi que le groupe « mémoire » venaient présenter leur rapport et leurs recommandations concrètes. Leur travail est impressionnant. Je salue particulièrement l’investissement de toutes ces personnes, dont plusieurs personnes victimes. Laïcs, religieux, prêtres, évêques ont su travailler ensemble pour nous faire progresser dans la prévention de toutes les formes d’abus et d’emprise, ainsi que dans l’accompagnement des personnes qui les ont subies comme de celles qui les ont commises.  

Comprenez-vous que certains fidèles puissent reprocher une forme d’omniprésence de ce sujet ? 

J’aimerais leur dire d’écouter d’abord la parole des personnes victimes qui osent témoigner et de recevoir avec bienveillance et confiance leur parole : qu’ils portent particulièrement dans leur prière ces personnes qui ont besoin de tout le soutien possible pour avancer. Il peut être difficile de comprendre la souffrance profonde des personnes victimes tant que nous n’avons pas été concernés dans notre entourage plus ou moins proche. Mais écouter ce que ces personnes victimes ont à nous dire fait partie de la mission de l’Église. Je veux saluer particulièrement le courage des personnes qui ont témoigné publiquement afin de permettre à d’autres victimes d’oser parler à leur tour. Le cas du Père Villaine et les personnes qui ont souffert de ses actes nous le rappellent douloureusement et nous obligent à la plus grande attention, d’autres situations abusives n’étant malheureusement pas à exclure. 

Comment accompagner au mieux les personnes victimes ? 

Il s’agit d’abord de respecter leur cheminement et mesurer combien il est douloureux et complexe. Le processus qui aboutit à la dénonciation de ce qu’elles ont vécu peut prendre beaucoup de temps. Les personnes victimes peuvent passer par des étapes similaires à celle de la courbe de deuil : déni, abattement, culpabilité, sidération, colère…  

Il est essentiel aussi que le plus grand nombre connaissent les moyens que nous mettons à la disposition de chacun : la cellule d’accueil et d’écoute d’abord[1] qui a comme mission première d’accueillir la parole de manière attentive et permanente. Cette cellule peut faire des signalements à la justice – ce qui n’exonère pas les témoins ou les personnes victimes d’effectuer aussi les démarches nécessaires. Elle informe les personnes victimes sur les procédures engagées et les sanctions canoniques prononcées.  

Dans le diocèse de Versailles, toute dénonciation de violences ou d’agressions sexuelles sur personne mineure est signalée au Procureur, ce qu’a entériné la signature d’un protocole en 2021. Tant que la justice civile n’a pas statué, nous sommes soumis au secret de l’instruction, instruction qui peut prendre du temps.  

L’action des associations de victimes est importante. Elles apportent un réel soutien notamment par des groupes de parole et par la publication de témoignages qui aident d’autres à se manifester.  

Quelles sont les procédures après un signalement ?  

Il est essentiel de concilier plusieurs principes : le secret de l’enquête, le respect de la présomption d’innocence, la recherche d’autres victimes potentielles qui, elle, relève de la justice civile et donc de la police, la prévention de rumeurs… C’est un exercice délicat qui nous enjoint à la prudence. 

Concrètement, comme je l’ai déjà évoqué, toute dénonciation est signalée systématiquement à la fois au Procureur, mais aussi au Dicastère pour la Doctrine de la Foi quand il s’agit d’acte commis par un clerc ou un religieux. C’est en collaboration étroite avec le Procureur que je prends des mesures conservatoires vis-à-vis de l’auteur des faits. Ceci n’équivaut pas à une reconnaissance de culpabilité mais relève bien de mesures prudentielles pour éviter tout risque sur de nouvelles victimes. 

Dans la majorité des cas, il y a deux possibilités pour une personne accusée de son vivant : soit la justice civile, après enquête, décide de poursuivre, soit elle décide de ne pas poursuivre. Suite au jugement rendu civilement, la justice canonique s’exerce car des faits, qui sont prescrits ou qui ne font pas l’objet d’une condamnation par le droit français, peuvent faire l’objet d’une procédure de justice par l’Eglise.  

Mais parfois l’auteur présumé est décédé. Que faire alors ? 

Vous relevez un point très délicat : pour les personnes victimes, la douleur est d’autant plus forte quand il n’y a pas de poursuite possible. Nous avons le cas dans notre diocèse. J’entends que cela peut paraître révoltant et douloureux.  

Pour autant, même si l’auteur présumé est décédé, il est important que les victimes puissent être entendue et parler du traumatisme qu’elles ont vécu, afin d’être soutenues et reconnues. D’où la nécessité de porter à une large connaissance des organismes comme l’INIRR et la CRR qui accompagnent les personnes victimes dans un processus de reconnaissance et de réparation.  

Que répondez-vous au trouble de paroissiens quand sont révélés des abus de la part de leur ancien curé ? 

Face à de telles révélations, l’émotion est grande et de nombreux questionnements jaillissent : pourquoi n’avons-nous rien vu, rien dit ? Et si mes enfants étaient concernés ? … La parole doit aussi se libérer à ce niveau. 

Ces questions sont légitimes et j’ai demandé qu’un groupe soit constitué pour accompagner et prendre soin des communautés paroissiales et de leurs pasteurs mais aussi apporter des réponses sans toutefois se substituer à la justice. 

J’entends le désir d’action et de vigilance et s’il ne nous appartient pas de mener par nous-mêmes des enquêtes, nous devons améliorer l’information des personnes et des communautés qui pourraient être concernées par des informations préoccupantes.  

Et quelle que soit la situation, envisagez-vous une communication publique ? 

C’est une question délicate qui doit prendre en compte tant la souffrance des personnes victimes et l’éventuelle dangerosité de l’auteur, que la présomption d’innocence, la qualification des faits, le secret de l’instruction. Nous veillons avant tout à informer au mieux les personnes victimes et nous discernons avec la justice et des experts ce qui doit être rendu public. J’ai bien conscience que ce discernement est un équilibre complexe entre recherche de la vérité et respect des personnes.  

Nous avons beaucoup parlé de l’après signalement, mais qu’en est-il de la veille et de la protection des mineurs par exemple ? 

En 2021, à mon initiative, a été créée la Commission diocésaine de protection des mineurs qui a développé des outils de référence. Ainsi, toute personne, salariée ou bénévole, au service d’une pastorale accueillant des mineurs doit désormais signer une charte de bientraitance avant son engagement. Cette charte est affichée dans les locaux des activités. Cette commission déploie des conseils-ressources pour ces personnes afin qu’elles soient formées à l’écoute et à l’accueil, qu’elles sachent reconnaître des signes de maltraitance ou d’abus, qu’elles puissent mettre en place les bons réflexes de sécurité et de prudence au cours de leurs activités avec les jeunes publics. L’enjeu de cette Commission est de responsabiliser chacun dans sa mission pour que nous soyons ensemble des veilleurs du bien commun. Cette Commission travaille en relation avec la CRIP (Cellule de Recueil d’Informations Préoccupantes), dispositif départemental lié à la protection de l’enfance.  

Le travail se poursuit, les moyens se déploient et pourtant des révélations éclatent régulièrement. Comment faire face ? 

La prévention et la lutte contre les abus à l’égard des mineurs constituent aujourd’hui dans l’Eglise comme dans la société française – voir le rapport de la CIIVISE – une priorité qui suscite de nouveaux et de nombreux moyens pour assurer la bientraitance des enfants et des jeunes. Il s’agit d’œuvrer à la fois pour une plus grande écoute des personnes victimes et une meilleure réponse tant dans leur accompagnement que dans les procédures judiciaires. Il s’agit également de réduire le plus possible les risques et de permettre aux mineurs d’être en pleine sécurité dans les structures qui les accueillent*. Depuis plusieurs années, le pape François interpelle toute l’Eglise pour qu’elle soit « une maison sûre » pour les mineurs dont elle a la responsabilité. C’est en ce sens qu’il faut poursuivre les efforts entrepris dans notre diocèse et plus largement dans l’Eglise en France.  

 

 

* Les établissements d’enseignement catholique ont mis en œuvre toute une série de mesures tant éducatives que préventives auprès de leurs élèves, des enseignants et du personnel éducatif.  

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