Stalles de Gassicourt : Des “miséricordes” empreintes de sagesse
De l’ancien prieuré bénédictin de Gassicourt, proche de Mantes-la-Jolie, il ne reste que l’église. Son architecture du XIIème siècle est remarquable, ainsi que ses vitraux et ses trente-deux stalles en chêne, de la fin du XVème siècle. Ce sont leurs miséricordes qui font l’objet de notre étude.
Les miséricordes sont les petites consoles fixées sous le siège relevable des stalles. Les moines pouvaient s’y appuyer (sans vraiment s’y asseoir !) quand il leur fallait rester longtemps debout durant les offices. Les dossiers et les séparations des stalles étaient généralement sculptés de scènes bibliques, d’images d’apôtres, de saints… En raison de leur position et de leur fonction les miséricordes se prêtaient moins à de telles scènes. On y trouve plutôt des images de métiers, d’animaux, d’objets de la vie quotidienne, des évocations de dictons, des scènes parfois truculentes et même osées.
Les trente-deux miséricordes de Gassicourt, admirablement sculptées et très bien conservées, échappent assez nettement à cette description. Elles ont fait l’objet de recherches nombreuses sans que l’on ait encore trouvé la logique qui a présidé à leur choix.
Pourtant, au-delà de leur grand intérêt plastique, elles révèlent une grande connaissance de la Sagesse biblique et me paraissent répondre à un schéma iconographique très cohérent. J’y vois un extraordinaire miroir de la Sagesse telle qu’en parlent, tout spécialement, les Ecrits bibliques sapientiels : le Livre des Proverbes (Pr), le Qohélet ou Ecclésiaste (Qo), le livre de la Sagesse (Sg) et le Siracide (Sir). Ce sont des textes composites quant à leurs origines et leur datation, leurs traductions sont difficiles, mais ils concourent tous à proposer, de façon allégorique, interrogative, désabusée parfois… un sens à la vie sur terre.
Alliant recherche spirituelle et bien-être concret de la communauté, la “Règle” de Saint Benoît, en vigueur dans le monastère, a certainement orienté aussi le choix iconographique de ces miséricordes. Ces dernières proposent des conseils pour vivre tous les jours, en communauté et dans le monde ambiant, la Sagesse de Dieu dont découle la sagesse humaine.
C’est ce qu’écrit le Livre des Proverbes dès son introduction :
“Voici des Proverbes pour vous faire acquérir sagesse et instruction et pénétrer les mots qui ouvrent l’intelligence, pour vous donner des leçons de bon sens, pour que vous deveniez justes, honnêtes et loyaux. Les gens simples apprendront à bien juger, les jeunes s’instruiront, leur esprit s’ouvrira. Ils pénétreront les proverbes et les dictons, les paroles des Sages et leurs énigmes… ; le début du savoir c’est la crainte du Seigneur ; seuls les sots méprisent sagesse et discipline.” (Pr 1,1-7)
NB : les numéros des stalles renvoient à ceux du livret de Bayard-service “Sainte-Anne de Gassicourt”
La Sagesse, arbre de Vie (Pr 3,13-18)
Cinq magnifiques feuilles, toutes différentes, d’une admirable facture et d’une grande souplesse, jalonnent les miséricordes. Elles évoquent l’Arbre de Vie du Paradis, l’Arbre originel de la Bible. Ici, cet arbre n’est plus interdit mais offert à tous. Il symbolise la Sagesse dans le Livre des Proverbes (Pr3,18). Ses feuilles représentent les Justes qui verdissent et poussent sans se flétrir (Pr11,28). Elles donnent sens à l’ensemble des miséricordes.
Miséricordes stalles de Ste-Anne de Gassicourt
Heureux l’homme qui a trouvé la Sagesse.
C’est un arbre de vie pour qui la saisit et qui la tient devient heureux. (Pr 3,18)
La Sagesse personnifiée
Pourrait-on voir dans ce personnage, habillé d’une ample robe ceinturée d’une corde, assis les bras en croix, tendant la main droite ouverte et la main gauche fermée, une personnification de la Sagesse ?
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“La Sagesse crie, élève la voix, lance un appel aux carrefours, aux portes de la ville… : “Ecoutez-donc mes avertissements en ce moment où je vous ouvre mon cœur et je vous fais connaître mes pensées.
Allez-vous refuser quand je vous appelle, ne pas faire attention quand je vous tends la main ? Voulez-vous négliger tous mes conseils et repousser mes avis ? (Pr1,20…25 |
N’oublie pas, mon fils, mes avertissements (Pr 3,1)
1 Un homme, montant à un gibet par une échelle, tire, par le cordon de sa bourse, un autre homme à genoux et les mains jointes, qui lui tourne le dos. | 4 Un chameau agenouillé retourne la tête | |
“Bien mal acquis ne profite jamais.
C’est une vie droite qui délivre de la mort”. (Pr 10,2) |
“Il est plus facile à un chameau de passer par trou d’aiguille, qu’à un riche de rentrer dans le Royaume des Cieux”. (Lc18,25) | |
13 Un homme nu, presque agenouillé, montre du doigt le chapeau d’un homme en costume bourgeois qui lui tourne le dos en s’éloignant. | 25 Un paysan manie sa faux sur un sol complètement dénudé, sur lequel rien n’a poussé. | |
“Qui fait sourde oreille au cri du malheureux, lui aussi appellera sans qu’on lui réponde.” (Pr 21,13) | “Le paresseux n’a pas labouré à l’automne ; l’été venu il pourra chercher : rien !” (Pr20,4) |
“Mon fils si des pécheurs veulent t’entraîner au mal, ne les suis pas” (Pr1,10)
17 Un coq en marche. | 11 Deux enfants nus, jouent au jeu d'”à cheval bâton” en tenant un moulinet à vent.
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“Avant qu’un coq ait chanté deux fois, trois fois tu me renieras” (Mc14,72). | “Le fabricant d’idoles a pris notre existence pour un jeu d’enfant, la vie pour une fête et un marché : « Il faut tirer profit de tout, dit-il, même du mal ». (Sg 15,12) | |
16 Un homme, un genou à terre, tend une grosse bourse à une femme assise, un coffret sur les genoux. Elle trinque en levant un verre. | 18 Trois personnages, deux femmes et un homme, nus tous les trois, jouent à colin-maillard. L’homme, vu de dos, est assis sur un tabouret et tient un bâton. Un bandeau lui cache les yeux et les oreilles. Il doit deviner celle qui le frappe. | |
“Qui entretient les prostituées y laissera son avoir” (Pr29,3) | ” Le sage a les yeux ouverts, mais l’insensé marche dans les ténèbres.” (Qo 2,14) | |
19 Quatre rats ou souris rongent un globe terrestre surmonté d’une croix. | 29 Un diable ailé aux pieds griffus et tenant un bâton fourchu, tourne le dos à un calvaire composé d’une simple croix sur un soubassement de pierres | |
“Le monde est mangé des rats » proverbe XVème s.
Ce proverbe, non biblique, est souvent sculpté dans la pierre ou le bois à cette époque. Le monde serait-il rongé par le mal, les vices… la Croix demeure ! |
“D’un côté le mal, de l’autre le bien ; d’un côté la mort, de l’autre la vie : et de même, le pécheur face au fidèle”. (Si 33,14) |
“Cherche la sagesse comme un trésor caché : alors tu pénétreras dans la crainte du Seigneur et tu trouveras la connaissance de Dieu.” (Pr2,4-5)
10 Un homme en longue robe et coiffé d’un bonnet pointu, lit avec attention un long phylactère qu’il tient par les extrémités.
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“Heureux celui qui reviendra sans cesse à ces Ecrits. S’il leur donne son attention, il deviendra sage, s’il les met en pratique, il se sentira fort en toute circonstance, car la lumière du Seigneur illuminera son chemin.” (Si 50,28)
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23 Un moine vêtu de la coule est assis sur un fauteuil. Il regarde la croix avec laquelle il semble converser. Compte-t-il ainsi sur ses doigts pour énumérer des arguments ? des raisons de croire ?Ou parle-t-il avec les mains comme le faisaient les moines tenus au silence ? |
“C’est par la sagesse que Dieu a fondé la terre ; par l’intelligence il a fixé le firmament. » (Pr3,19)
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Conclusion
Ces stalles sont une belle occasion de découvrir les Livres de la Sagesse souvent méconnus. Mettant en images des maximes très abstraites, elles peuvent être difficiles à interpréter, mais elles nous traduisent aujourd’hui, de manière très vivante, la façon dont ces textes intemporels étaient compris et ont été incarnés en images au XVème siècle. Elles insèrent tout naturellement dans leur réflexion des maximes évangéliques et des proverbes contemporains.
Elles nous introduisent également dans la sagesse de moines vivant en communautés mais aussi en contact avec les paysans, les malades qui venaient se faire soigner au monastère, les hôtes de passage. Fortes de ces expériences humaines, elles traduisent les éternels questionnements de l’homme sur le travail, la vie, la mort, le mal, le bonheur.
Elles conseillent guident, gardent les gens du mauvais choix, proposent le chemin de la Sagesse. Elles sont un outil de discernement pour apprendre à vivre et non un barème de condamnation.
Heureux l’homme qui a trouvé la Sagesse. Pr3,18
Catherine de Salaberry, Carême 2023
Photos Bernard de Salaberry