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L’arbre de Jessé, entre terre et Ciel


Pour entrer dans l’attente du Sauveur, le temps de l’Avent nous fait régulièrement entendre la prophétie d’Isaïe. L’image de l’arbre de Jessé, qui montre la succession des générations, exprime cette attente du salut par l’humanité durant des siècles et la réalisation de la prophétie en Jésus.

Redécouvrons ensemble cette iconographie si particulière à travers les vitraux de quatre églises de notre diocèse : Triel-sur-Seine, Montfort-l’Amaury, Richebourg et Voisins-le-Bretonneux.

Détail du vitrail de l’église Saint-Martin de Triel sur Seine, 1550, attribués à Jean le Prince.

Lors de la déportation à Babylone, le prophète Isaïe soutient l’espérance du peuple élu. Dans le bas du vitrail de l’église Saint-Martin à Triel, il est représenté à côté de Jessé endormi, alors que celui-ci vécut trois siècles plus tôt.

Isaïe porte le traditionnel bonnet juif ; autour de lui flotte un phylactère sur lequel est écrite la prophétie :

Egredietur virga de radice Jesse, et flos de radice eius ascendet. Et requiescet super eum Spiritus Domini.

“Une tige sortira de la racine de Jessé, une fleur s’élèvera de ses racines. Et sur elle reposera l’Esprit du Seigneur” (Is 11, 1-3)

Le « Livre des générations »

Un détour par les manuscrits nous permet de comprendre l’origine de ce motif. L’évangile selon saint Matthieu commence par la généalogie du Christ, en latin « liber generationis », ou livre des générations et le L se prête à une enluminure représentant une descendance à partir d’un personnage couché comme on le voit dans ce manuscrit de 1150. [1]

Saint Matthieu fait lui-même le lien entre la généalogie du Christ et une autre prophétie, au chapitre 7 du livre d’Isaïe : « Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur prononcée par le prophète : Voici que la Vierge concevra, et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous » (Mt 1, 22-23).

L’organisation de la tige de Jessé est toujours assez semblable à ce que nous voyons sur le manuscrit : Jessé le patriarche est endormi, de son entrejambe, de son abdomen ou de sa poitrine selon les cas, sort une plante, symbole d’une génération vigoureuse, supportant dans ses ramures sa descendance : les rois David et Salomon, puis Marie, Jésus au-dessus duquel est représenté l’Esprit-Saint sous la forme d’une colombe nimbée.

Marie apparaît ainsi dans la descendance du roi David, alors que dans l’Évangile de Matthieu, c’est Joseph qui est de la lignée de David et qui est chargé par l’ange de donner le nom de Jésus. Dès le IIe siècle, Irénée souligne que Marie descend également du roi David en faisant appel à l’Apocryphe de Jacques. Celui-ci affirme qu’Anne la mère de Marie est de la tribu de David et que Marie a été choisie parmi les vierges sans tache de la maison de David pour tisser le voile du temple.

Cependant, cet arbre n’est pas exactement un arbre généalogique. Il s’agit plutôt par ce procédé de montrer la nature humaine du Christ, inscrit dans une descendance, et sa nature divine, Fils de Dieu sur qui repose l’Esprit, ainsi que le récapitule saint Paul :

« Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance par ses prophètes dans les saintes Écritures, concerne son Fils qui, selon la chair, est né de la descendance de David et, selon l’Esprit de sainteté, a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts, lui, Jésus Christ, notre Seigneur. » Ro 1, 2-4

Cette plante extraordinaire, qui n’est pas encore vraiment un arbre au XIIe siècle, relie la terre au ciel. C’est une traduction visuelle du mystère de l’incarnation de Dieu, venu partager la condition des hommes en s’intégrant dans l’histoire humaine par le oui de Marie.

Les rois de Juda dans les vitraux

Au XIIe siècle, l’abbé Suger, conseiller du roi Louis VI et régent de France durant l’absence de ce dernier, fait sortir la tige de Jessé du domaine confiné des manuscrits en demandant sa représentation dans un vitrail destiné à la basilique Saint-Denis. Afin d’étoffer la tige portant les rois, il introduit des prophètes de chaque côté, tels une parenté spirituelle encadrant la parenté charnelle.

Avec ce motif d’origine biblique, Suger souhaite valoriser la royauté : dans la Bible, Dieu lui-même avait conféré une légitimité à la dynastie des rois de Juda par l’onction.

Dans la plupart des arbres de Jessé est figuré le roi David reconnaissable à sa lyre, comme ici dans le vitrail de l’église Saint-Pierre à Montfort-l’Amaury.

A la fin du XVe siècle, l’arbre de Jessé se développe en largeur, troncs et feuillages sont plus réalistes que ceux de son ancêtre du XIIe siècle, et les rois et prophètes sont installés dans les branches sans grand souci de descendance. Une exubérance plus marquée de l’arbre et des costumes des personnages caractérise cette dernière période de floraison de l’arbre de Jessé. Il arrive même, comme à Saint-Étienne de Beauvais, que soient représentés les souverains de l’époque, les rois sortant à mi-corps de grandes corolles fantaisie. Nous les découvrons ainsi installés dans les vitraux XVIe de l’église Saint-Georges de Richebourg :

Une orientation de plus en plus mariale

Initialement centrée sur le Christ, l’iconographie va ensuite honorer Marie dans sa maternité virginale, jusqu’à évoquer l’immaculée conception.

Détail du vitrail de Richebourg, XVIe siècle

L’interprétation de la prophétie d’Isaïe a très tôt donné lieu à de jolies formules qui alimenteront le thème : «  Jésus-Christ est la fleur poussée de la racine de Jessé. La racine de Jessé, c’est le sang de David. La branche qui sort de la racine, c’est Marie. La fleur qui naît de la tige c’est le fils de Marie.  » (Tertullien)[2]. Ainsi dès le IIIe siècle il y a un jeu entre les mots virgo – tige et virga – vierge. Cependant, dans l’interprétation des Pères de l’Église, c’est le Christ qui est annoncé par cette prophétie et qui est la fleur de la promesse.

Au XIIe siècle, la France se couvre de cathédrales dédiées à Notre-Dame et la dévotion mariale se déploie. Un nouveau questionnement agite les théologiens à propos de l’immaculée conception durant les XIIIe et XIVe siècles, et aura des répercussions sur la représentation de la Vierge Marie. La fête de la Conception de Marie qui existait depuis le XIe siècle en Occident entre au calendrier romain après le concile de Bâle en 1476. Le pape Sixte IV fait alors composer des hymnes liturgiques, les confréries dédiées à la Vierge Marie se multiplient, des concours de poèmes en son honneur sont organisés. L’iconographie de l’Immaculée Conception se développe en Espagne et s’inspire de la vision de saint Jean dans l’Apocalypse  : «  Un grand signe apparut dans le ciel  : une Femme, ayant le soleil pour manteau  ». (Ap 12, 1)

Dans ce contexte, l’arbre de Jessé évolue : à partir du XVe siècle, plus que l’ascendance royale de Jésus, il valorise la Vierge immaculée portant l’enfant Jésus. Celle-ci, de simple tige portant le sauveur, devient avec son fils, la fleur de la promesse. [3]

Le Christ, plénitude de la Révélation

Quatre nouveaux vitraux, réalisés par Clothilde Devillers ont été inaugurés en 2004 pour l’église Notre-Dame de la Nativité à Voisins-le-Bretonneux.

Alors que le motif de l’arbre de Jessé avait peu à peu disparu après le Concile de Trente, l’un de ces vitraux reprend le thème d’une manière contemporaine  : la généalogie du Christ est déployée dans le phylactère qui entoure le vitrail, le roi David, fils de Jessé se reconnaît à sa lyre, le Christ, fruit de la promesse apparaît dans une lumineuse mandorle. Couronné, il est assis sur le cercle bleu du cosmos, tient un sceptre et fait l’ancien geste de la parole, lui qui est le Verbe de Dieu, geste compris aujourd’hui comme une bénédiction. Tout en haut du vitrail, l’Esprit Saint repose sur le Christ en gloire.

Ainsi cet arbre aux couleurs vives unit la terre et le Ciel, et manifeste que le Christ, descendant de David, est bien le rejeton de la prophétie d’Isaïe, et le Fils de Dieu sur qui repose l’Esprit.

Dans cette réalisation se voit l’influence du Concile Vatican II qui rappelle que le Christ est le seul médiateur pour notre salut.

«  La profonde vérité que cette Révélation manifeste, sur Dieu et sur le salut de l’homme, resplendit pour nous dans le Christ, qui est à la fois le Médiateur et la plénitude de toute la Révélation  »[4]

Nathalie Lockhart, novembre 2020

[1] ms lat 11, fol 232r, BNF ©Source gallica.bnf.fr / BnF
[2] Tertullien, De carne Christi. XXI. Migne. Patrologie latine, tome 2. Col 788
[3] Séverine Lepape, « L’Arbre de Jessé : une image de l’Immaculée Conception ? », Médiévales 57, 2009
[4] Dei Verbum, Concile Vatican II