A Montfort-l’Amaury, méditer sur les vies de saint Pierre et saint Paul
Dans les verrières du choeur du XVIe siècle, ils encadrent le vitrail de la Crucifixion. Pierre et Paul ont partagé la coupe du Seigneur. Fêtés ensemble le 29 juin, ils forment les deux colonnes de l’Église fondée en Christ. On peut demander leur intercession pour le ministère des nouveaux prêtres
Quelle surprise quand, passé le seuil de l’église Saint-Pierre de Montfort l’Amaury, on en découvre la haute nef illuminée par ses trente-sept verrières du seizième siècle. Elles sont remarquables par leurs coloris et leur message profondément biblique, message fortement influencé par le Concile de Trente qui demandait que soient mis en valeur le mystère eucharistique, le culte de la Vierge et celui des grands saints.
Un ensemble de trois vitraux va retenir ici notre attention : le vitrail de la Crucifixion entouré à sa gauche par celui de saint Paul et à sa droite par celui de saint Pierre : ce dernier, dédié au saint patron de la paroisse, est d’une telle richesse que nous prendrons du temps pour le déchiffrer.
Situé à gauche du chœur, cet ensemble fait face au vitrail de la Résurrection, au sud, qui en donne la clef de lecture, le sens ultime.
Le vitrail de la crucifixion
Les croix du Christ et celles des deux larrons occupent trois lancettes ; elles sont toutes trois très hautes, dominant très nettement tous les personnages qui les entourent.
Au centre sur une croix plus grande que les autres, le Christ nous regarde de face. Il se tient debout, mains et pieds fixé par trois clous, la tête penchée à droite, dans une attitude presque sereine. A ses pieds nous reconnaissons la Vierge et Marie-Magdeleine ainsi que des passants et deux cavaliers ; la tradition de l’époque voit en eux le porteur d’éponge et le porteur de lance qui témoigne de sa foi au moment de la mort de Jésus.
Sur les deux autres croix, les larrons attachés par des cordes sont comme désarticulés, torturés de l’intérieur. A notre gauche le “bon larron” nous tourne le dos mais regarde le Christ, comme tous les personnages qui entourent sa croix. A notre droite, le “mauvais larron” penche la tête en avant, comme pour fuir le regard du Christ.
Ces trois lancettes des crucifiés sont couronnées par un médaillon représentant l’apparition de Jésus ressuscité à Marie-Magdeleine. Il tient une bêche, pour faire comprendre que Marie-Magdeleine le prend pour le “Jardinier”.
Des anges volent tout autour présentant les instruments de la Passion (colonne de la flagellation, couronne d’épines, voile de Véronique, suaire, marteau, tenailles, fouet, lance…) comme autant de trophées glorieux.
Le vitrail de saint Paul
Contrairement aux deux autres vitraux, il se lit de haut en bas comme pour souligner la chute de celui qui croyait détenir la vérité en persécutant les Chrétiens.
- Le Christ en gloire apparaît dans le médaillon du haut.
- C’est à Paul qu’il se manifeste, comme le précise le registre situé en-dessous. Celui-ci ébloui, aveuglé, tombe de cheval ainsi que ses compagnons. Bien qu’il ne soit jamais fait mention d’un cheval pour Paul, il est ainsi représenté en Occident à partir du 13e à cause de l’importance qu’a prise la chevalerie à cette époque. Et comme Paul se targuait d’être citoyen romain, on l’imaginait en cavalier romain ! Cette image rend plus spectaculaire encore la chute du persécuteur.
Le registre inférieur a été remanié au 19e s., rendant difficile sa lecture. A gauche, on pense qu’il s’agit de Paul en prière ou en supplication (lors d’une de ses nombreuses arrestations). A l’arrière-plan des hommes en pleine discussion, peints en grisaille, sont réunis sous un portique. A droite nous voyons la décollation ou décapitation du saint sur l’ordre de Néron.
Le vitrail de saint Pierre
Les trois grandes lancettes
Elles superposent six images (deux par lancette) qu’il faut lire en commençant par celles du bas de gauche à droite, puis en continuant par celles du dessus, mais de droite à gauche cette fois. Elles nous racontent l’arrestation de Pierre et sa délivrance (n° 1-6 sur les traverses noires en fer).
-1- En bas, à gauche, le roi Hérode, en tenue romaine de parade et bonnet juif, tient de la main droite le sceptre qui symbolise son pouvoir ; il tend une main crispée et intransigeante pour faire arrêter Pierre (visible dans la lancette suivante). Derrière lui deux Juifs perplexes entourent un soldat qui pointe son index vers la scène supérieure.
-2- En bas, au centre, six gardes romains entraînent Pierre. L’un d’entre eux lève un bâton dans un geste de menace. Pierre, loin de se débattre, semblerait même mener le groupe. Situé en plein centre de l’image, Pierre est vêtu d’une tunique jaune et d’un manteau rouge ; il porte un nimbe (auréole).
3- En bas, à droite, Pierre repose, assis au centre de l’image, les yeux fermés. Il n’a ni liens, ni chaînes. Il est entouré de trois gardes dont deux sont armés de lances. Les deux gardes du premier plan, debout et très attentifs scrutent l’horizon à droite et à gauche ; ils ne voient manifestement pas l’ange qui s’est glissé derrière Pierre le touchant à l’épaule.
4- En haut à droite, au-dessus de la scène précédente et la complétant, une coupole à arcatures caractéristique de la Renaissance coiffe la prison de Pierre. Un même feu éclaire de ses flammes d’un vibrant rouge-orangé l’ensemble de l’édifice ; il contribue à faire l’unité de cette lancette.
-5- A gauche, Pierre court hors de sa prison, entraîné par un ange, tandis que les gardes, assis dorment profondément, la tête entre les genoux et donc incapables de voir ce qui se passe. Seules trois lances dressées rappellent leur mission. Derrière Pierre se dresse le haut clocher rectangulaire d’une église.
-6- En haut, à gauche, Pierre est debout dans une ruelle médiévale, tenant fermé de ses deux mains le manteau que l’ange lui a dit de prendre (v.8). Il semble hésiter ou attendre devant un arbre mort. Dans la rue, derrière lui, se dresse une église au clocher ruiné et une auberge qui arbore une enseigne ” Au quartier de lune”.
Les 3 petites lancettes au sommet du vitrail
1- En bas, à gauche, Pierre frappe à la porte d’une maison dans laquelle nous voyons les occupants assis en train de prier, un livre ouvert sur les genoux de l’un d’entre eux. Rhodè, la jeune servante (v.13) se lève pour ouvrir la porte.
-2- A droite, Hérode, qui a troqué son bonnet juif pour une couronne, écarte largement les bras. Il a laissé tomber à terre son sceptre qui s’est brisé et tourne vers nous des mains vides. Il exprime ainsi la peur et le désarroi qui le tenaillent. En effet un ange se tient au-dessus de lui, porteur d’un glaive et prêt à le frapper.
-3-En haut, devant une porte, Pierre, le Livre à la main, enseigne et guérit. Il parle, les doigts de la main droite ouverts vers des sympathisants en prière. En même temps, il guérit l’homme qui, au premier plan, est en train de se relever.
Les quatre demi-lancettes du pourtour
Elles présentent quatre anges dont trois portent des instruments de la Passion : la lance, la colonne de la flagellation et la croix.
Rapprochements et lecture typologique
Des anachronismes, des superpositions voulues de scènes, des rapprochements de couleur, des renvois d’une scène à l’autre par un index pointé, un même élément repris dans deux scènes différentes etc… nous font comprendre que le maître verrier a voulu, à partir de l’histoire de l’arrestation de Pierre telle qu’elle nous est relatée dans les Actes des Apôtres, nous donner une méditation sur la figure de Pierre, colonne de l’Eglise et saint patron de l’église de Montfort l’Amaury.
Tout d’abord, les lancettes, si elles se lisent transversalement dans un premier temps, se lisent aussi verticalement, comme nous l’avons vu avec celle de l’emprisonnement de Pierre.
- C’est ainsi que la grande lancette centrale superpose l’arrestation de Pierre et sa délivrance, l’action de l’homme et celle de Dieu, la mise à mort et la Résurrection. Elle fait aussi relire la “passion de Pierre” à la lumière de celle du Christ : Pierre est arrêté comme le Christ par des gardes armés de bâtons et il est libéré de la mort “à la barbe” des soldats endormis ! Ce que confirme la présentation glorieuse des instruments de la Passion de Jésus (colonne, lance, croix) autour du vitrail.
La diversité des architectures y évoque peut-être aussi l’histoire complexe de l’église de Montfort maintes fois remaniée.
- La grande lancette de gauche, en superposant un Hérode sûr de lui et un Pierre qui réalise à peine qu’il vient d’être libéré, rend encore plus éclatant le retournement de situation qui va suivre, retournement qu’un soldat (centurion ?) annonce déjà en pointant son index vers les scènes supérieures.
L’opposition est forte, en effet, sur le vitrail comme dans le récit des Actes, entre un Hérode tout-puissant qui “entreprend de mettre à mal quelques-uns des membres de l’Église “(v.1) et un Pierre condamné à mort qui, juste au-dessus d’Hérode sur ce vitrail, se retrouve dans la rue, en train de “reprendre ses esprits” et d’essayer de se repérer (v.10&11).
Mais voilà que tout bascule, et Pierre en prend conscience : “Cette fois, je comprends : c’est bien réellement que le Seigneur… m’a fait échapper aux mains d’Hérode”. Pierre est libéré, il est vivant, tandis qu’Hérode qui se voulait tout puissant va mourir (v.21-23) du glaive (selon cette image) dont il a tué Jacques (comme le précise le v.2) : ce que montre la petite lancette du haut à droite.
- La grande lancette de droite qui opère le tournant de l’histoire nous montre Pierre endormi, comme gisant dans la crypte de l’église St Pierre de Rome, sous la coupole dont les travaux s’achèvent à peine à Rome selon les dessins de Michel-Ange. Un feu de Pentecôte éclaire tout l’intérieur de la rotonde. Or d’un bout à l’autre du vitrail, Pierre est vêtu d’une tunique et d’un manteau aux couleurs de ce grand feu.
Enfin l’image de Pierre enseignant et guérissant couronne le vitrail. Elle se situe devant une porte évoquant les Premiers “Actes” de Pierre après la Pentecôte :
– la guérison de l’infirme à “La Belle Porte” (Ac3,1-10) et
– la prédication au “Portique de Salomon” (Ac3,11-26).
Ainsi ce vitrail nous donne une interprétation très fidèle du chapitre 12 des Actes des Apôtres en nous ouvrant à ses sens spirituels et théologiques.
29 juin : saint Pierre et saint Paul
Face au vitrail de la Résurrection du Christ, le vitrail de la Crucifixion unit les “Passions” de Paul et de Pierre à celle du Christ. Les récits de leur délivrance dans les Actes des Apôtres (Ac 12,1-19 et Ac 16,16-40) les unit à la Résurrection du Christ.
L’Église donne Pierre et Paul, ces “colonnes” de l’Église, comme modèles aux ordinands. Comme Pierre et Paul, ils sont différents par leur histoire, leur culture, leur tempérament. Comme Pierre, pêcheur de Galilée et Paul, pharisien et citoyen romain, ils sont appelés à suivre le Christ là où il les emmène.
Ils entendront le 29 juin cette préface : « Père très saint […], tu nous donnes de fêter en ce jour les deux apôtres Pierre et Paul : celui qui fut le premier à confesser la foi, et celui qui l’a mise en lumière ; Pierre qui constitua l’Église en s’adressant d’abord aux fils d’Israël, et Paul qui fit connaître aux Nations l’Évangile du salut ; l’un et l’autre ont travaillé, chacun selon sa grâce, à rassembler l’unique famille du Christ. »
Que, de l’Orient à l’Occident et dans la diversité de leur ministère, les nouveaux prêtres ordonnés annoncent à tous, dans toutes les langues, que le Christ est vivant et qu’il aime tous les hommes.
Catherine de Salaberry, juin 2020