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La descente de croix, contempler l’abaissement du Fils


La descente du corps du Christ de la croix est racontée succinctement dans l‘Evangile : « Alors Joseph acheta un linceul, il descendit Jésus de la croix » Mc, 15, 46. Ce moment cependant a donné naissance à nombre d’œuvres d’art, les artistes imaginant la manière dont s’est déroulée la scène. Le motif s’est propagé à partir de la diffusion des chemins de croix.

Pratiqué dès la paix de l’Eglise à Jérusalem [1], le chemin de croix est répandu par les franciscains à la fin du XIIIe siècle pour permettre aux pauvres qui ne pouvaient aller en pèlerinage en Terre sainte de vivre la méditation de la passion du Christ. La treizième station correspond à la descente de la croix. [2]

Une fois n’est pas coutume, nous cheminerons d’une œuvre récente vers une œuvre plus ancienne.

A Saint-Germain-en-Laye,

Maurice Denis a peint un chemin de croix pour la chapelle de sa maison [3]

Station XIII, Maurice Denis, musée St Germain-en-Laye

Dans le petit espace de ce tableau sont ramassés les personnages cités dans l’Evangile :

« Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » (Jn 19, 25-26)

« Après cela, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Joseph vint donc enlever le corps de Jésus. Nicodème – celui qui, au début, était venu trouver Jésus pendant la nuit – vint lui aussi ; il apportait un mélange de myrrhe et d’aloès pesant environ cent livres. Ils prirent donc le corps de Jésus, qu’ils lièrent de linges, en employant les aromates selon la coutume juive d’ensevelir les morts. » (Jn 19, 38-40)

Traditionnellement, Marie-Madeleine est représentée sans voile. Ici, elle embrasse la main blessée du Christ dans un geste d’amour ; Marie embrasse ses pieds. Saint Jean, le jeune apôtre, soutient le corps aidé d’un homme à la barbe blanche qui pourrait être Joseph d’Arimathie :

« Alors arriva un membre du Conseil, nommé Joseph ; c’était un homme bon et juste, qui n’avait donné son accord ni à leur délibération, ni à leurs actes. Il était d’Arimathie, ville de Judée, et il attendait le règne de Dieu. » (Luc 23, 32)

L’homme dont le bras soutient les pieds du Christ serait alors Nicodème, celui qui était venu rencontrer Jésus de nuit. (Jn 3, 1-21)

Dans l’église Saint-Eustache de Viroflay

Lazerges, XIXe, église St Eustache, Viroflay

se trouve une toile peinte en grisaille, exécutée par Hippolyte Lazerges [4] en 1874. Toute la lumière du tableau émane du corps de Jésus et du linceul. Soutenu aux bras et aux pieds, le Christ garde la position du crucifié.

Voilà que celui qui est l’échelle vers le Ciel, celui qui nous conduit à la rencontre de l’amour et de la gloire du Père est descendu porté par quelques amis fidèles, avec soin, au creux de la terre, dans un recueillement poignant. Ici est médité l’abaissement du Fils de Dieu, dont le corps est abandonné au soin de ceux qui l’aiment.

Considérons le vieil homme au sol qui soutient le corps de Jésus. Ne peut-on y voir la figure du vieil Adam accueillant son Sauveur, la tradition faisant coïncider le lieu du Golgotha avec la tombe du premier homme, longtemps représenté par l’image du crâne d’Adam au pied de la croix ?

 

Ces œuvres sont inspirées à la fois par les écrits évangéliques et l’expression de la dévotion qui à partir du XIVe siècle, invite à une relation plus affective au Christ : il s’agit pour le fidèle de méditer l’Écriture afin de contempler le Sauveur dans son humanité, et éprouver ainsi douleur et repentir susceptibles de faire croître l’amour du Sauveur.

Dans l’église Saint-Germain de Saint-Germain-en-Laye

se trouve une œuvre plus symbolique. Il s’agit d’un retable en pierre sculpté en bas-relief finement ciselé. [5]

Retable St Germain-en-Laye, photos X Guenez

 

Au centre, le Christ est sur une croix faite d’un arbre bourgeonnant qui symbolise l’arbre de vie. La croix est perçue comme le lieu où le Christ redonne accès à la vie divine. « Il a montré en sa personne toute la plénitude de la vie offerte sur l’arbre. Cet arbre m’est une plante de salut éternel » (Pseudo Hippolyte, Homélies pascales, tome 1, Paris, Cerf, 1950, Sources chrétiennes 27 p. 176-178). Le Christ ne porte pas la couronne d’épines [6]. Sur la pierre sont gravés les noms de Nicodème en haut de l’échelle, de Joseph d’Arimathie qui soutient le corps, son visage étant tout près du cœur du Seigneur.

Tous les personnages de gauche sont dans la lumière d’un soleil personnifié, alors que ceux de droite sont dans l’ombre d’une lune personnifiée elle aussi, à la manière antique. Jésus est « Lumière du monde », « soleil de justice » ; les astres reconnaissent aussi leur créateur manifestant par l’obscurité le drame de la mort de Jésus. A gauche du Christ se tiennent sous la lune, dans la nuit, ceux qui n’ont pas reconnu le Messie et en premier lieu la Synagogue, à qui l’ange Raphaël fait baisser la tête.

Nous pouvons aussi entendre résonner les paroles de Jésus à Nicodème : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement ; celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. » (Jn 3, 17-21)

A la droite du Christ, donc à notre gauche, les femmes présentes à la croix ont l’attitude qu’on leur donne lorsqu’elles vont au tombeau le matin de Pâques. Elles lèvent la main en signe de témoignage, l’une d’elle, Marie-Madeleine a les mains jointes sur son cœur aimant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean se tient près de Marie. Celle-ci dans un geste magnifique tient le bras de son fils, aidé par l’ange Gabriel. Admirons la finesse des drapés et l’expression grave de ces visages. Une petite jeune fille tête nue tient une hampe et un calice, c’est la figure de la toute jeune Eglise recueillant le sang du Sauveur pour le donner éternellement aux enfants de Dieu.

 

Tous ont des visages et coiffures d’une grande beauté. La sculpture de la tunique est extraordinaire de mouvement et de grâce :

« Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses habits ; ils en firent quatre parts, une pour chaque soldat. Ils prirent aussi la tunique ; c’était une tunique sans couture, tissée tout d’une pièce de haut en bas. Alors ils se dirent entre eux : ‘ Ne la déchirons pas, désignons par le sort celui qui l’aura’. Ainsi s’accomplissait la parole de l’Écriture : ‘Ils se sont partagé mes habits ; ils ont tiré au sort mon vêtement’. C’est bien ce que firent les soldats. » (Jn 19, 23-24)

 

Ces œuvres se complètent étonnamment : la plus ancienne mêle dans la même composition les éléments historiques et une vision théologique là où les œuvres plus récentes privilégient la relation personnelle et affective au Christ mort et ressuscité, centre de nos vies.

Que ces œuvres ouvrent nos cœurs pour contempler la Passion de Jésus, son abaissement pour nous rejoindre dans toutes nos douleurs et sa présence dans l’Eucharistie célébrée en Eglise jusqu’à la fin des temps. A la suite de Marie, nous voulons tenir sans relâche la main du Christ en ceux qui souffrent et avoir pour les mourants la compassion de Joseph d’Arimathie.

Nathalie Lockhart

 

 

[1] la paix de l’Eglise est instaurée par l’Edit de Milan en avril 313 qui permet aux chrétiens de pratiquer librement leur culte)

[2] Site portail de la liturgie catholique : le chemin de croix dans l’histoire

[3] Musée Maurice Denis, 2 bis Rue Maurice Denis, 78100 Saint-Germain-en-Laye

[4] Hippolyte Lazerges, peintre orientaliste qui a traité de nombreux sujets religieux 1817-1887

[5] Cette plaque est à rapprocher de l’œuvre sculptée par Benedetto Antelami en 1178 conservée à Parme, il n’y a pas de datation scientifique à ce jour.

[6] Le motif apparaît dans l’iconographie, à partir du transfert de la relique en Occident par saint Louis au XIIIe siècle.