Au fil de l’eau, promenade en art sacré… Saint-Aubin de Limay, Notre-Dame de Mantes, Sainte-Anne de Gassicourt
Trois églises ouvertes sur un parcours de quelques kilomètres : quelle chance pour le flâneur ! De Saint-Aubin de Limay à la collégiale de Mantes, il suffit de passer le pont ! Des splendeurs gothiques de la collégiale jusqu’à l’église Sainte-Anne, on descend la Seine le long de la voie sur berge paysagée et l’on remonte le temps jusqu’aux fondations du prieuré Saint-Sulpice (fin du XIe s.) : Sainte-Anne, joyau de l’art roman, en est le dernier vestige … Voici l’itinéraire que nous vous proposons pour relire, au fil de la promenade, les symboles de la foi et y puiser la joie de croire.
Saint-Aubin de Limay : un écrin de trésors méconnus
Qui se souvient que cette petite église à double nef et à l’architecture curieuse, a été agrandie pour réunir le concile de Limay convoqué par Odon Rigaud, archevêque de Rouen, en 1261 ? Ici résonna un appel à la dernière croisade. Cet épisode historique est évoqué dans les vitraux du chœur de Pierre Gaudin, inaugurés par Mgr Renard en 1955.
D’autres curiosités attendent ici le promeneur. Deux tombeaux, où de sereins visages contemplent le ciel de leurs yeux clos : ceux de Jean Chenut et de son épouse (début du XVIe siècle), celui de Thomas le Tourneur (XIVe s.). Dès l’entrée à gauche, une curieuse pierre scellée au mur attire le regard, retrouvée et identifiée au XIXe s. par Armand Cassan.
Il s’agit d’une stèle funéraire du XIIIe s., rédigée en caractères hébraïques. C’est tout ce qui reste de la tombe du rabbin Meyer… Elle atteste, comme d’autres, qui dorment dans les réserves du musée de Mantes, la présence de petites communautés juives qui vivaient au Moyen-Âge entre Mantes et Limay, au cœur de cités où fleurissaient les églises et les ordres religieux.
Comment découvrir la richesse de l’église ? En flânant, ou bien en cherchant, dans son mobilier composite, quelques signes qui viendront nourrir notre foi ?
Auprès des fonts-baptismaux du XIIIe siècle, un saint Jean-Baptiste de pierre désignant l’Agneau de Dieu nous appelle à nous interroger sur le sens de la vocation baptismale. Tout auprès, nous contemplerons un saint Paul âgé, de l’époque Renaissance, aux traits burinés par le temps : cette représentation de l’apôtre des nations met en lumière un homme fatigué par les voyages et les efforts apostoliques. Il reflète la vie de celui qui a pu écrire : « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. » (2 Ti 4,7) et qui a si souvent comparé la vie chrétienne à une lutte acharnée. Dans la nef latérale, on s’arrêtera devant une Crucifixion peinte en grisaille du XVIIe s., pour y contempler la Passion du Christ, où se réalise l’œuvre du salut.
Notre-Dame de Mantes, lumière de l’espérance
En sortant de l’église, on se dirigera vers la Seine pour passer le pont. Ce paysage, prisé des peintres impressionnistes, a été immortalisé par Camille Corot, qui résida un temps à Rosny-sur-Seine. On reconnaît sans peine le vieux pont et la maison du passeur, qui forment le décor de La Seine à Mantes, toile brossée vers 1868.
Puis face au promeneur, dominant le fleuve, s’impose la collégiale Notre-Dame et sa toiture vernissée aux armes de Thibaut de Champagne. Signe de l’espérance du pèlerin en route vers la Jérusalem céleste, nous y entrerons, pour chercher la lumière du Christ sauveur. Dès les portails de la fin du XIIe s., le visiteur lève les yeux vers une figuration de la Résurrection du Christ : « Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ? » (Lc 24,5) Sur le sobre linteau est racontée la visite des femmes au Tombeau du Christ. Le signe de la Résurrection, c’est ici un linge aérien, tenant en suspension dans l’air, comme animé de la vie du Ressuscité. Au portail central très dégradé par les violences révolutionnaires, Marie entre dans la gloire de son Fils. Tout le dogme de l’Assomption est décliné sur le linteau : à gauche, conformément à un texte apocryphe du IIe s., on voit les apôtres converger vers le lit où repose la Vierge. Dans le dernier tiers du linteau à droite, se tient le Christ qui reçoit dans ses bras l’âme de la Vierge, figurée sous la forme d’un petit enfant, puis défilent les anges penchés vers Marie et relevant son corps endormi dans le tombeau. Voici la nouvelle Ève, la créature pleinement restaurée dans la grâce originelle, espérance pour l’église en marche…
Il faut maintenant entrer : le monde extérieur et les bruits de la rue s’évanouissent. Sous la tranquille voûte haute de près de trente mètres, il fait bon s’asseoir dans la fraîcheur et se reposer comme dans les verts pâturages de l’Écriture.
Tout ici est lumière, tout est élévation : l’esprit du gothique est là. Les églises, dans la pensée médiévale, sont une métaphore du paradis où l’âme entre en communion avec Dieu. C’est le moment d’en faire l’expérience. Et pour conforter l’espérance de la Fin des temps, remontons la nef jusqu’au maître-autel. Retournons-nous pour contempler la vieille rosace du XIIIe s., image de la roue du temps dont le Christ est l’axe et le sens. On s’amusera, si l’on a pris ses jumelles, à décrypter les morts sortant des tombeaux « ceux-ci [allant] au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle » (Mt 25,46). Enfer à trois heures où s’ouvre la gueule de Léviathan pour avaler les damnés ; mais à neuf heures un ange conduit les bienheureux vers la porte du paradis, un château à étages que l’on aperçoit à dix heures. Au sommet de la rose, le sein d’Abraham dit en symbole la restauration des âmes dans le sein du Père éternel.
Il faut retrouver la vie de tous les jours. Le trajet jusqu’à Sainte-Anne emprunte les berges de la Seine. On peut le couvrir en voiture en quelques minutes, ou en une petite demi-heure à pied. L’admiration devant le fleuve si paisible, dont les poètes ont souvent fait la métaphore de nos vies qui s’écoulent, apportera un moment de paix profonde. Arrivé au niveau de la rue de la Papeterie, à gauche, on verra se dessiner le lourd clocher de Saint-Anne, typique du roman normand.
Sainte-Anne : une spiritualité monastique
Ici, jusqu’au XVIIIe s., ont prié des bénédictins de l’ordre de Cluny ; le resserrement de l’édifice si typique de l’art roman, aide à la méditation. Peu de décorations dans la pierre. Aux chapiteaux, de subtiles variations de motifs : palmes, étoiles, masques, coquilles Saint-Jacques, entrelacs. Rien ne vient déranger la méditation quand l’œil se porte sur le vitrail qui occupe le fond du chœur. Cette partie de l’église, de style gothique, a été réédifiée pour abriter la verrière de la Passion au XIIIe s., ce que n’aurait pas permis le chœur roman et ses fenêtres plus étroites. Même si plusieurs médaillons sont interpolés ou dégradés par le temps – on en espère la restauration –, on lit facilement, comme dans les pages d’un évangile, les moments qui séparent l’entrée du Christ à Jérusalem et son Ascension glorieuse. Comme toute lecture, cette belle page historiée, qu’on lit de gauche à droite et de bas en haut, conformément à l’usage médiéval, demande de s’arrêter, et de goûter chaque moment de la Passion, en convoquant la mémoire des Écritures. Ainsi faisaient les moines, quand ils se tenaient au chœur pour l’office divin.
Les belles stalles du XVe s ne se trouvaient pas installées à l’endroit resserré où on les voit aujourd’hui, mais dans la nef, dont elles occupaient une partie. La pierre n’offrait guère de distraction à l’âme en quête de Dieu. Les scènes révélées dans le verre par la lumière attiraient sans doute davantage le regard. Ces stalles sont l’une des curiosités qu’il faut prendre le temps de considérer. Faute de comprendre aujourd’hui leur sens, on s’en amuse. Les miséricordes – ces pièces de bois où s’appuyaient les religieux durant de longs offices, sont sculptées de motifs qui ramènent au monde du quotidien : animaux familiers, comme le coq ou l’escargot, ou exotiques comme le chameau – souvent ils étaient l’allégorie de vices ou de vertus – mais aussi travaux des champs ou de la vigne, scènes morales, qui disent l’insouciance de la vie sous le soleil comme ces enfants nus jouant à colin-maillard, ou les dangers de la tentation figurés peut-être dans ce diable qui tourne le dos à la croix…
Le petit écrin de Sainte-Anne propose ainsi une pause ludique. Mais qu’on relève la tête vers la verrière de la Passion, puis que l’on se tourne vers la lourde porte d’entrée, surmontée d’un oculus sobrement décoré dans la décennie 1960 par l’atelier de Jean-Jacques Gruber, maître-verrier à Paris. La Croix qui fait face à la Passion, dans sa forme souple, semble danser sous les rayons de la lumière. Elle invite le visiteur à quitter l’église, le cœur plein d’une espérance joyeuse.
Marie-Christine Gomez-Géraud
été 2023
Renseignements pratiques
- Ouverture des églises : tous les jours de 10h à 17 h ; collégiale Notre-Dame de Mantes, tous les jours, de 9h à 19h30. Visites du lundi au vendredi entre 14h30 et 17h30 par les Jeunes au Service du Patrimoine tout l’été (sauf durant la semaine du 31 juillet au 4 août) ; église Sainte-Anne : tous les jours de 9h à 19h.
- Pour localiser les églises, des adresses : Saint-Aubin de Limay : 45 rue de l’église ; collégiale : place de l’étape, Mantes-la-Jolie ; Sainte-Anne : place Sainte-Anne, Mantes-la-Jolie.
- Distances : de Saint-Aubin à la collégiale : 1,2 km ; de la collégiale à Sainte-Anne : 2,3 km.