Rencontre annuelle des sages-femmes et médecins catholiques des Yvelines
La finalité de la médecine nous dit Aristote* est de soigner et non de guérir. Le 1er avril, la réunion des sages-femmes et médecins catholiques des Yvelines s’est tenue au Foyer de Charité de la Part-Dieu autour du thème : « Guérir à quel prix ? »
Journée de grande intensité débutant par le témoignage de Mme Demangel qui, pour son fils voué à la dialyse à la suite d’une maladie de Berger, a donné un de ses reins. Décision et expérience radicales. Décision personnelle puis familiale mais impliquant aussi la société notamment dans la rencontre imposée avec le juge qui a, in fine, pouvoir de décision. Croyante, elle a témoigné de l’esprit de partage qui l’a animé _ c’est bien l’intention l’amour qui a présidé au don avons-nous tous constaté ! _ et incité l’assemblée à réfléchir sur la question du don d’organes.
« Qu’est-ce que la guérison ? »
s’est interrogé le Dr Bakar, gynécologue à l’hôpital de Mantes-la-Jolie, retraçant, à titre d’exemple et de façon saisissante, l’évolution de la prise en charge du cancer du sein depuis 30 ans : d’une chirurgie agressive au début des années 90 qui minimisait les séquelles douloureuses, esthétiques et psychiques, on est passé à une attitude de plus grand respect : mise au point d’une chirurgie moins délabrante et réparatrice avec développement de prises en charge plus humaines, prenant en compte la personnalité des personnes, leur psychologie, leur sexualité et leur condition sociale, le retour au travail étant une des conditions visée par la guérison. « La guérison a un prix ! » a-t-il poursuivi, se questionnant sur les pratiques et leurs implications éthiques, sociétales et politiques par les choix posés : « Quel prix la société veut-elle mettre pour la prise en charge des maladies et lesquelles ? » s’est-il interrogé.
« Guérir n’est pas toujours guérir ! »
a affirmé le père Laurent Lemoine, prêtre et psychanalyste, poursuivant la réflexion. Illusion de considérer la guérison comme restitution ‘ad integrum’ d’un état perdu ! Partant d’une conception dynamique de la santé en œuvre en psychanalyse, vue non comme un état mais comme une relation, une relation à soi-même, à son entourage, il a montré comment la marche vers la guérison ouvrait à la découverte d’une vérité sur soi-même et même au salut. Epreuve exigeante et parfois douloureuse à l’image de Jacob après son combat avec l’ange (Gn 32,2) car « l’illusoire de la guérison serait de penser qu’on avance dans la vie qu’autrement que blessé » ! Mais tout est incertain et certains malades psychiques préfèrent rester malades, rester en souffrance. Changer quelque chose dans leur vie leur est trop coûteux, trop douloureux car la vérité sur soi-même peut parfois ne pas pouvoir être regardée en face. Ainsi la dépression peut parfois rester rebelle aux prises en charge. Oui, l’exigence de vérité a un prix que savait le poète René Char « la lucidité sur soi-même est la blessure la plus rapprochée du soleil » 2.
Le P.Lemoine a terminé en rappelant la belle définition de la guérison chez Freud : parvenir à aimer, à travailler et à se reposer . Oui, a-t-il conclu : « Guérir c’est passer d’un destin à une destinée ! ».
« Qui paie le prix de la guérison ? »
s’est interrogé à son tour Guillaume Lemoine, médecin et séminariste, axant l’essentiel de sa réflexion sur le médecin lui-même à qui est demandé un engagement en vérité à l’image de celui de Jésus quand il guérit la femme hémorroïsse (Mc 5, 25. 5) prenant conscience qu’une force est sortie de lui. En soignant, en guérissant, Jésus révèle qui est Dieu, qui est l’homme et quel est le prix à payer : ce prix est le prix de l’amour ! La maladie altère et désunit. Le but du médecin est d’aider la personne malade à se réunifier. Mais seul l’amour peut le faire, car si l’homme soigne, seul Dieu guérit ! Car Dieu fait des miracles, mais parfois, il les sous-traite, par exemple aux médecins, conclut-il avec humour !
Des repères théologiques
La journée de réflexion s’est achevée par l’intervention du père Emmanuel Gougaud, curé et théologien qui rappelait que lorsque les soignants exercent leur métier, les églises y voient une action de Dieu. Cause première de la création, Dieu agit en effet habituellement par les causes secondes : les actions de ses créatures. Dieu nous rejoint dans toutes nos dimensions. Par l’incarnation en devenant un homme, « Jésus est devenu aussi l’humain de tous les hommes » 3.
Ainsi pouvons-nous penser le soin comme un lieu christologique, présence du Christ. Quelle est cette présence comme action de Dieu avec et par nous ? La parabole de la guérison des dix lépreux (Lc 17,11) nous montre comment seul le lépreux samaritain, non-juif réputé impur, a accès au salut en plus de la guérison. Pourquoi ? Le samaritain a reconnu en Jésus le prêtre et le temple véritable, par-delà la Loi de Moïse. Jésus fait de sa vie une offrande d’amour à Dieu et à tous. En ce sens, il est prêtre et temple. Il est le frère universel parce que Fils du Père éternel. Pour le chrétien et le soignant chrétien, il s’agit d’entrer dans la filiation divine, dans le choix de Dieu de m’aimer et donc de porter sur les choses un regard de vérité qui est la filiation et la fraternité. Vérité falsifiée si l’homme se fait la mesure de toute chose refusant la filiation et la fraternité. De fait, la maladie grave est une occasion de dépossession qui invite à l’acceptation de la faiblesse, à l’image de l’enfant, à l’image de Jésus « qui sauve le monde, non dans le sang versé mais dans l’amour qu’il y met ». Dans la maladie il peut y alors avoir un renouvellement de la relation aux autres et accès à la capacité à vivre, à être heureux y compris dans la « dangereuse mémoire » 4 que peut représenter une maladie grave à l’image du symbole de la croix. C’est le prix pour reconstruire un lien, un lien filial et fraternel, et permettre à la personne malade de reprendre place au cœur de la communauté qui anticipe la réconciliation de la famille humaine à l’image de l’amour de la Trinité.
La célébration de l’Eucharistie a réuni tous les participants dans une belle action de grâce.
Olivier Ille
Diacre et médecin,
membre de la Pastorale de la Santé
* Aristote, “Les Topiques“, livre VII
2. René Char, “Fureur et Mystère”
3. Karl Barth, “Dogmatique chrétienne“, IV, 59 « l’homme en tant que tel devant Dieu »
4. J.B Metz, “La dangereuse mémoire”