Saint Roch, patron des pestiférés à découvrir pour la Toussaint
Qui n’a déjà vu la statue de ce saint dans nombre d’églises notamment à Chanteloup-les-Vignes ? Du pèlerin, il a le chapeau et le bâton caractéristiques. Il est accompagné de son chien qui tient généralement un pain dans la gueule et il relève sa tunique pour montrer la plaie qu’un ange est venu soigner.
Saint Roch est invoqué en France, en Italie et dans bien d’autres pays, pour obtenir la guérison de la peste qui a ravagé périodiquement l’Europe et une partie de l’Orient jusqu’au XVIIème siècle. Il nous montre le visage de Dieu.
Une première chapelle dédiée à saint Roch est construite en 1444 dans ce tout petit village de moins de 500 habitants qu’est alors Chanteloup-les-Vignes. Elle sera remplacée 80 ans plus tard par l’église Saint-Roch que nous voyons aujourd’hui, agrandie. Toute la région venait y vénérer des reliques de saint Roch exposées, le 16 août, jour de sa fête.
C’est vraisemblablement à l’occasion de la canonisation de saint Roch que fut élevé le beau retable de l’Assomption que nous connaissons aujourd’hui, encadré de saint Roch et de saint Sébastien[ii], l’autre saint, guérisseur de la peste, qui lui est très souvent associé.
Contexte historique
L’Europe traverse, en cette fin de Moyen Âge, l’une des pires périodes de son histoire et la vie de Roch ne peut être entendue et comprise sans connaître les calamités qui ont meurtri la France, au XIVème siècle. Aux affreux massacres et aux pillages incessants de la guerre de Cent Ans s’est jointe la grande peste noire qui décima plus d’un tiers de l’Europe. C’est dans ce contexte que naît Roch.
La Peste noire arrive dans les ports méditerranéens, au milieu du XIVème siècle, apportée par les rats des navires dont les puces transmettent la terrible maladie. La peste noire peut tuer en trois jours. Les populations urbaines et paysannes sont atteintes par le fléau qui touche toutes les classes sociales. Les champs ne peuvent plus être cultivés, faute de bras, et une effroyable famine se déclare au milieu du siècle. Les pays les plus touchés pensent que c’est la fin du monde.
Sans traitements, sans médicaments, sans savoir qu’il fallait isoler les malades, on ne pouvait, au XIVème siècle qu’implorer Dieu en demandant l’intercession de Marie et des saints, dont saint Roch.
L’histoire de Roch ne peut être entendue sans comprendre ce que sont les “hagiographies”, ces “vies de saints” très “légendaires”, écrites au Moyen Âge. Ce ne sont jamais des biographies historiques au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Elles nous apprennent à lire[i] la vie du saint à travers de multiples sources ou témoignages dont le but commun est de révéler la présence et l’action de Dieu ; de permettre au lecteur de déceler le combat que Dieu mène contre les forces du mal en annonçant leur défaite à venir et la victoire finale du Christ. La “Vie et légende” proposée ici est une compilation très résumée de diverses hagiographies (quelquefois un peu contradictoires !) des XVème et XVIème siècles. Elle pourrait s’inscrire dans la continuité de la célèbre Légende Dorée de Jacques de Voragine, parue au XIIIème siècle. Elle abonde en allusions bibliques au Salut.
Vie et Légende de Roch
Roch naît sans doute à Montpellier vers 1350, dans une famille de notables de la ville. Lors de son premier bain, les sages-femmes remarquent la présence d’une croix sur son côté droit. Il reçoit une éducation chrétienne de ses parents qui meurent alors qu’il a 17 ans. Il étudie vraisemblablement la médecine à l’université de la ville de Montpellier, atteinte à son tour par la peste. A cette catastrophe s’ajoutent inondations, tremblements de terre, disette… Tous ses habitants se tournent vers la Vierge, multiplient les processions.
Roch, à sa majorité, vend tous ses biens, entre dans le Tiers-ordre franciscain et part en pèlerinage à Rome. La peste le rejoint sur le chemin. Au lieu de la fuir, il va à la rencontre des malades et les soigne. Peut-être utilise-t-il la lancette chirurgicale découverte lors de ses études ? Il les soigne au nom de Dieu. De nombreuses guérisons lui donnent une réputation de thaumaturge.
Il se rend enfin à Rome en 1368. Il trouve une ville à moitié vide, silencieuse, ravagée par la maladie. Il y passe trois ans à soigner les nombreux malades qu’il rencontre. Quand il décide de retourner en France, l’épidémie a déjà gagné le Nord de l’Italie. Arrivé près de Plaisance, continuant toujours à soigner les malades, il attrape lui-même la peste qu’il bravait depuis quatre ans. Il se réfugie dans un bois pour mourir. Une source jaillit à côté de lui. Un ange vient soigner le bubon qu’il porte à la cuisse et un chien lui apporte chaque matin un pain dérobé à la table de son maître. Ce dernier, intrigué, suit un jour son chien et découvre Roch dont il devient le disciple. Roch guérit et décide de repartir. Arrivé à Voghera (près de Milan) [ou à Montpellier selon d’autres sources] personne ne le reconnaît tellement il est amaigri. On le prend pour un espion. Il est emprisonné cinq ans et meurt le 16 août, peut-être de l’année 1379. Sa cellule de prisonnier s’était emplie d’une étrange lumière. Il avait une trentaine d’années.
A quel saint se vouer en cas d’épidémie ?
A saint Roch bien sûr ! Sa réputation n’a cessé de croître au cours du XVème siècle, d’autant plus qu’on lui attribue un nouveau miracle : en 1444, les évêques, réunis à Constance pour le XVIème Concile œcuménique, font une procession solennelle en l’honneur de Roch pour délivrer la ville de la peste et Constance est sauvée. Par la suite on construit de nombreuses chapelles et églises sous son patronyme. Statues et vitraux y racontent son histoire. Des images imprimées en grand nombre circulent, accompagnées de prières à réciter pour guérir. De nombreuses confréries sont crées, en son nom, pour accompagner les malades et les mourants.
Sa fête, le 16 août, suivie de processions en son honneur, reste longtemps une fête d’obligation.
Saint Roch devient si célèbre que les Vénitiens vont jusqu’à voler les restes de son corps pour édifier, sur ces insignes reliques, la célèbre église San Rocco. Les missels des XVème et XVIème siècles proposent une messe contre la peste.
Mais il va falloir attendre le XVIIème siècle pour qu’il soit reconnu par l’Eglise. Ce n’est qu’en 1629 que saint Roch est inscrit au Martyrologe des Saints et canonisé. Ses vertus de thaumaturge sont attestées.
Dans le monde entier on reconnaît en saint Roch de Montpellier le saint protecteur et guérisseur de la peste.
Peu de saints ont été aussi célèbres et aussi souvent représentés que lui : il porte le manteau, la gourde accrochée au bourdon (bâton), la panetière, les coquilles et le chapeau des pèlerins.
Deux clefs de saint Pierre, croisées sur son chapeau à Chanteloup-les-Vignes, rappellent qu’il se rendait en pèlerinage à Rome. Pour faire entendre qu’il fut atteint, lui aussi, de la peste, il relève un pan de sa tunique et laisse voir sur sa jambe nue une plaie, un bubon, que soigne souvent un ange. Le bon chien qui se tient à ses côtés, apportant un pain dans la gueule, est inséparable de St Roch. La tradition populaire lui a donné le nom de “Roquet”.
Quel rapport entre la Toussaint et saint Roch ?
L’Église reconnaît le Christ de la Passion, à travers le Serviteur souffrant d’Isaïe : “enraciné dans une terre aride… méprisé, abandonné de tous, homme de douleurs, familier de la souffrance, semblable au lépreux dont on se détourne“(Is 53,2-3).
L’Église reconnaît en saint Roch un Serviteur de Dieu, enraciné dans la terre aride des calamités du XIVème siècle, un homme familier de la souffrance qu’il a voulu côtoyer, partager, porter jusqu’à devenir lui-même un pestiféré.
“Nous pensions qu’il était frappé par Dieu, humilié” (Is 54,4) mais l’hagiographie de Roch nous apprend que ce n’est pas Dieu qui frappe et envoie les calamités parce que “en son Nom” on peut être guéri, sauvé, de la maladie, de la pestilence, du mal et de la mort. La guérison reçue dans les épreuves annonce la Résurrection, la pourriture causée par la maladie, le péché, ayant, pour toujours, été purifiée par le sang de l’Alliance.
La Toussaint fête la communion éternelle, en Dieu, de tous ceux qui “sont venus de la grande épreuve” (Ap7,14), de tous les pestiférés et exclus, guidés par des saints comme Roch et bien d’autres. Marqués sur terre du sceau de l’infamie, ils sont maintenant dans le ciel “marqués au front du sceau du Dieu vivant.” (Ap7,2-14).
Catherine de Salaberry, Toussaint 2022
Bibliographie
Emile MÂLE, tome III, “L’Art religieux en France” p.190 et suivants
Gaston DUCHET-SUCHAUX et Michel PASTOUREAU “La Bible et les Saints” Guide iconographique Flammarion 1990
“L’église Saint-Roch de Chanteloup fête ses 500 ans” 21 octobre 2018
Roch de Montpellier — Wikipédia (wikipedia.org) très bien documenté
Peste noire — Wikipedia (wikipedia.org)
[i] Legenda est le gérondif du verbe” Legere” et signifie “ce qui doit être lu”.
[ii] Saint Sébastien ayant survécu aux flèches de son supplice, lors de la persécution de Dioclétien au IIIème siècle, est lui aussi considéré comme protecteur contre la peste.