A Mantes, une expérience du patrimoine vivant
Le spectacle vivant peut favoriser la rencontre entre la communauté paroissiale et la societé civile autour d’un passé commun.
Exemple avec les événements déployés en cet été 2022 autour des 75 ans de la mort d’un des curés les plus populaires de la ville : l’Abbé Émile Dévé.
Les échecs ont souvent du bon. C’est la conclusion que l’équipe de « Patrimoine et découvertes », à Mantes, tire de son expérience en cette fin d’année. Ce petit groupe, toujours encouragé par la bienveillance de son curé, le P. Matthieu Williamson, travaille à l’étude et à la valorisation du patrimoine religieux, notamment par des visites de la Collégiale et de Sainte-Anne de Gassicourt auprès de publics aux attentes très différentes.
D’un projet d’exposition sur la vie de l’Abbé Emile Dévé
De long mois consacrés à lire les archives paroissiales et à fouiller une abondante documentation historique pour les uns, à inventorier la sacristie ancienne en lien avec le Service d’Art sacré pour les autres ont convaincu l’équipe qu’elle pouvait organiser une exposition – de préférence dans un
local communal, à la faveur d’un événement : les 75 ans de la mort d’un des curés les plus populaires de la ville : l’Abbé Émile Dévé (1868-1947). L’homme est toujours bien vivant dans la mémoire des plus anciens Mantais qui ne perdent pas une occasion de rapporter sur lui anecdotes inédites et traits savoureux. Le groupe avait à sa disposition de nombreuses pièces belles ou émouvantes (ornements liturgiques, objets de culte, photos, articles de presse, papiers), une belle énergie et quelques idées neuves pour faire de cet événement un temps de rencontre entre l’histoire de la ville et l’histoire de la paroisse. Mais tout est vanité : le beau projet est tombé à l’eau à l’automne dernier. Pour le meilleur !
Passée la première déception, il fallait abandonner ou rebondir. Puisque nous ne pouvions mettre notre patrimoine à la disposition d’un large public sous vitrine, eh bien, nous allions le donner à admirer sous une forme vivante ! Il fallait juste un peu d’audace et de courage pour trouver le moyen de faire découvrir un pasteur à l’humour légendaire qui vécut son ministère à Mantes pendant quarante-six ans, accompagna sa communauté pendant deux guerres mondiales, restaura sa Collégiale et fut estimé de tous.
A un spectacle vivant dans la collégiale
« Patrimoine et découvertes » avait déjà monté quelques spectacles, des parcours crépusculaires dans la collégiale. Nous savions que la paroisse ne manquait pas de ressources pour monter une pièce de théâtre. La troupe s’est enrichie jusqu’à compter une trentaine de participants, de cinq à quatre-vingt-douze ans, de toutes origines et de tous milieux.
Le texte du Curé de Mantes-sur-Seine, pensé comme une fantaisie commémorative, a été conçu en fonction des acteurs présumés, de leurs compétences et de leurs faiblesses, pour permettre à chacun d’épanouir au mieux ses talents.
Musique, chants tirés de vieux recueils de cantiques, danse figurant le vol de l’âme au Ciel, rien n’a semblé impossible pour faire revivre une époque, ses joies et ses émois.
L’expérience humaine a été forte, parfois tendue – il faut de la discipline et des exigences pour faire avancer ce petit monde ! Mais quelle joie ce 18 juin de raconter, en puisant à ses ressources propres, une page de l’histoire de Mantes et de la communauté !
Une expérience riche de dialogue avec la société civile
Notre souhait initial qui était de collaborer avec des institutions non ecclésiales et montrer les trésors paroissiaux notamment les parements et vêtements liturgiques, a pu se concrétiser dans ce spectacle vivant :
Grâce aux Vieux Volants (une association d’amateurs de voitures anciennes), une Delahaye 1938 éclatante et un chauffeur en tenue constituaient le clou de la première scène sur le parvis. Le musée de la BA 105 a prêté pour un soir des capotes militaires nécessaires pour l’évocation de la Première guerre mondiale. Un groupe local de musiciens a abandonné sa grosse caisse à la fanfare de la Vigilante – société paroissiale fondée dans les années 20. Un professionnel a assuré bénévolement les éclairages.
Le Service d’Art sacré du diocèse et la paroisse de Mantes ont confié vêtements liturgiques, barrettes et bannières pour reconstituer la procession du Jubilé sacerdotal de l’Abbé Dévé. Marchaient en tête deux gardes Suisses, adulte et enfant, dont les costumes dormaient dans le grenier du presbytère. Extravagances sans doute que tant d’accessoires ! Mais un spectacle est un spectacle et il nous fallait rejoindre un public divers, à l’image de la population de Mantes. C’est dans une joie partagée que tous ont découvert le patrimoine de leur paroisse. On m’écrivait le soir même : « Vous avez fait revenir l’Abbé Dévé dans sa collégiale » ; un vieux Mantais chuchotait dans l’oreille de son curé en voyant jouer la procession du Jubilé : « J’y étais ! » et montrant une place dans l’église : « J’étais assis là ! » Loin de voir une exhibition de vieux objets bizarres, le public, et même le plus étranger à l’Église, faisait face à une communauté ancrée dans sa foi, bien plantée sur le territoire de la ville et découvrait cinquante ans de son histoire*.
Faire vivre le patrimoine, ce n’est pas l’affaire d’un soir
Nous avons complété le spectacle par l’édition d’un livret sur la vie d’Émile Dévé**, enrichi par des documents tirés de la presse locale et des archives familiales retrouvées par les paroissiens. Une petite exposition a eu lieu dimanche 3 juillet à la collégiale, devant un petit public souvent peu familier des conférences historiques, comme ces chrétiens d’Orient émerveillés à qui l’un d’entre eux traduisait les commentaires en arabe.
L’été se poursuivra sur le même thème :
- Le 22 juillet une promenade est proposée sur les lieux fréquentés par le curé de Mantes-sur-Seine,
- Le 13 août est programmée une « visite de la Collégiale avec l’Abbé Dévé » qui avait écrit un guide touristique de l’édifice en 1932.
- Le dimanche 4 septembre à l’occasion d’un « goûter-mémoire », les enfants de la paroisse sont invités à rencontrer les contemporains de l’Abbé Dévé qui leur parleront de leur jeunesse.
Il ne s’agit pas, bien sûr, de multiplier gratuitement les activités. Mais dans une société où l’instant prévaut sur le long terme, il est bon de se rappeler, dans l’action de grâces, que nous vivons de l’héritage de ceux qui nous ont précédés. L’histoire est le lieu où Dieu accompagne son peuple en marche vers la Cité définitive, hier, aujourd’hui et demain. Les frêles traces que sont nos archives et les plus belles de nos œuvres d’art sacré en témoignent silencieusement : à nous d’inventer les moyens de les faire parler pour rencontrer nos contemporains et témoigner de l’espérance qui nous anime.
Marie-Christine Gomez-Géraud
juillet 2022
* Philippe Sanson, diacre du Diocèse a réalisé le tournage de la pièce Le Curé de Mantes-sur-Seine, donnée le 18 juin à la Collégiale, et en assure le montage. Sa vidéo sera disponible sur internet à la rentrée 2022.
** Émile Dévé, prêtre des Mantais (1868-1947). Livret réalisé par « Patrimoine et Découvertes » disponible à la Procure de Mantes et au bureau d’accueil de la Collégiale (7,50 euros).
Renseignements à l’adresse suivante : patrimoine.decouvertes.mantes@gmail.com