Le Oui qui nous ouvre à la Présence, l’Annonciation à Notre-Dame de Versailles
L’église Notre-Dame, rue de la Paroisse à Versailles, construite à la demande du roi Louis XIV, recèle une merveilleuse surprise dans le déambulatoire, derrière le chœur.
Bâtie par Jules Hardouin-Mansart, Premier Architecte du Roi, l’église fut consacrée en 1686, à Notre-Dame en son Assomption, en mémoire du vœu de Louis XIII qui désespérait de ne pas avoir de descendant.
A la Révolution, elle est saccagée, dépouillée de ses œuvres, tableaux, sculptures, orfèvrerie pour être transformée en temple de la Raison. Rendue au culte à partir d’avril 1800, l’église panse ses blessures, récupère certaines œuvres majeures non détruites et envisage un agrandissement, derrière le chœur, en raison de l’affluence des fidèles. Il est réalisé en 1850 en action de grâce, Versailles ayant été épargnée lors de l’épidémie de choléra en 1832. A cette période, la dévotion eucharistique est grande et se manifeste par l’importance donnée à l’adoration perpétuelle devant le Saint-Sacrement. La fête du Sacré-Cœur est élevée au rang de fête universelle en 1856. La nouvelle chapelle de l’église Notre-Dame de Versailles est tout naturellement dédiée au Sacré-Cœur et consacrée en 1872.
Deux merveilles en marbre blanc des Apennins
C’est dans l’élégant déambulatoire de style classique que s’ouvre, dans l’axe de la nef et derrière l’autel, l’accès à la nouvelle chapelle. De chaque côté sont placés deux bustes en marbre – ou peut-être des statues tronquées – de la Vierge Marie et l’ange Gabriel. Cette Annonce à Marie, réalisée vers 1725 par Giacomo Antonio Ponsonelli, sculpteur de l’école génoise, est arrivée à Versailles autour de 1875 et installée sur d’imposants supports aux armes de la paroisse.
Reprenant la représentation traditionnelle de l’Annonciation, ces marbres nous font « voir » le dialogue entre Marie et l’ange. Les gestes délicats sont pleins de retenue, les visages gracieux et le drapé presque vivant.
Une main sur le cœur et l’autre ouverte en signe d’acquiescement, la tête légèrement penchée manifestent l’humilité de Marie.
Au-delà de leur beauté formelle, l’emplacement de ces statues est très significatif. Le dialogue entre Marie et l’ange permet l’incarnation du Fils de Dieu et ouvre une nouvelle ère pour l’Humanité. « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole. » Par le Oui de Marie, Dieu rejoint l’humanité en Jésus, afin de permettre à l’homme de communier à l’amour divin. Sa présence demeure parmi nous depuis l’inouï de la résurrection, selon la promesse même du Christ : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » Mt 28, 20.
C’est bien entre Marie et l’ange dialoguant que s’ouvre l’espace de la chapelle du Sacré-Cœur, espace de prière pour demeurer dans l’intimité du Seigneur et l’écouter au plus profond de soi.
Quand l’architecture devient un langage théologique
La chapelle du Sacré-Coeur est élevée sur un plan circulaire, symbole de l’éternité de Dieu à laquelle l’homme est appelé. Il s’agit d’un espace nouveau, sans cheminement, contrairement à la nef, pour demeurer dès aujourd’hui en présence de « ce cœur qui a tant aimé les hommes jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour »[i], en présence de Jésus qui se donne se donne en nourriture de Vie éternelle à chaque Eucharistie[ii].
La rotonde reprend l’architecture du Saint Sépulcre de Jérusalem. Invité à « veiller et prier » comme à Gethsémani, le fidèle y est comme plongé dans la mort et la résurrection du Christ.
La chapelle présente deux niveaux d’ouvertures : à l’étage sont percées huit fenêtres auxquelles s’ajoutent quatre ouvertures au niveau bas. L’architecte a joué la partition symbolique des nombres bibliques : celui de la création, traditionnellement symbolisée par le chiffre quatre, (4 éléments, 4 saisons, 4 points cardinaux) et celui du Salut, de l’Éternité, des Béatitudes, symbolisés par le chiffre 8, le huitième jour étant celui de la résurrection, de la création sauvée. La chapelle propose donc une sorte de d’ascension spirituelle, notre nature créée est transfigurée par la vie en Dieu, dans l’accueil de la grâce donnée par la présence du Seigneur.
Cette disposition de l’Annonciation ouvrant l’espace sacré n’est pas nouvelle. On la trouve déjà dans l’art byzantin, par exemple à la chapelle palatine de Palerme[iii] en Sicile, ainsi que dans la chapelle Scrovegni décorée par Giotto[iv]. A chaque fois, l’Annonciation est représentée de part et d’autre de l’arc qui ouvre le chœur, le lieu où, dans la célébration de l’Eucharistie et grâce au Oui de Marie, Dieu se donne en Pain de Vie éternelle.
Lors de l’année de l’Eucharistie, soulignant le lien entre l’Annonciation et le sacrement, saint Jean-Paul II écrivait : « À l’Annonciation, Marie a conçu le Fils de Dieu dans la vérité même physique du corps et du sang, anticipant en elle ce qui dans une certaine mesure se réalise sacramentellement en tout croyant qui reçoit, sous les espèces du pain et du vin, le corps et le sang du Seigneur. Il existe donc une analogie profonde entre le fiat par lequel Marie répond aux paroles de l’Ange et l’amen que chaque fidèle prononce quand il reçoit le corps du Seigneur. »[v]
Nathalie Lockhart, 25 mars 2022
[i] Paroles de Jésus à Marguerite-Marie Alacoque, Paray-le-Monial, Juin 1674
[ii] Le lien Sacré-Cœur et Eucharistie est ultérieurement expliqué par le pape Pie XII dans une lettre encyclique de 1956 : dans laquelle le premier don cité du Cœur de Jésus est l’Eucharistie :
“36. La divine Eucharistie, en tant que sacrement par lequel il se donne aux hommes et sacrifice par lequel il s’immole perpétuellement ” du lever jusqu’au coucher du soleil, ” ainsi que le sacerdoce, sont des dons du Cœur très sacré de Jésus. 37. Un don très précieux également de ce Cœur très sacré est la Mère de Dieu et aussi notre Mère très aimante à tous.”
[iii] Pour visualiser l’image :
[iv] https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Frescos_in_Cappella_degli_Scrovegni_(Padua)?uselang=fr#/media/File:Padova_Cappella_degli_Scrovegni_Innen_Langhaus_Ost_2.jpg
[v] Lettre Encyclique Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, Saint Jean-Paul II