Quelles réponses à nos questions sur les abus et le rapport de la CIASE ?
Mgr Luc Crepy et Anne Sudan, membre de la cellule d’écoute des victimes du diocèse de Versailles, reviennent sur différentes interrogations souvent exprimées lors des réunions en paroisse et en doyenné.
La responsabilité des catholiques est souvent invoquée dans cette crise. Pourquoi ?
Mgr Luc Crepy : Le terme de la responsabilité des fidèles est parfois mal interprété. Rappelons que si la majorité des violences et des agressions sexuelles a été commise dans l’Église par des clercs, un tiers de ces actes l’a été par des laïcs. Il ne s’agit cependant pas d’une responsabilité directe des fidèles. Mais, comme les évêques l’ont exprimé à Lourdes, il s’agit pour tous de reconnaître qu’au sein de l’Église, ces violences ont été rendues possibles dans un contexte global où des fonctionnements, des mentalités, des pratiques ont permis que ces actes de pédocriminalité se perpétuent. Aujourd’hui, cette responsabilité doit se traduire par la mise en œuvre de mesures fortes de prévention et d’information vis à vis des mineurs. Tous les abus quels qu’ils soient (abus de pouvoir, d’autorité, de conscience, sexuels), sont l’expression d’une toute-puissance exercée sur une personne fragile et vulnérable. Cette toute-puissance sur autrui, et plus particulièrement sur les petits, est dénoncée dans l’Évangile. Jésus le Christ est venu pour servir et non pour être servi. A son exemple, nous comprenons qu’exercer une responsabilité, une autorité, c’est servir, et jamais abuser.
Mme Anne Sudan : En Église, nous devons mutuellement veiller les uns sur les autres et être co-vigilants notamment. Comme fidèles, nous avons à veiller sur nos prêtres. Ce sont des hommes et des ministres ordonnés qui ne doivent pas être « mis à part ». Aidons-les fraternellement à tenir leur juste place. Ce qui les piège, c’est lorsqu’on les met sur un piédestal comme détenteurs d’une autorité alors inajustée qui permet les dérives. Le synode demandé par le Pape François tombe à point nommé. Il invite à réfléchir sur l’autorité, la bienveillance, la gouvernance dans nos paroisses, dans notre Église. Il est temps de retrousser nos manches, de se former au discernement, à la correction fraternelle, déceler les comportements non appropriés, oser informer plutôt que laisser courir la rumeur… Sans tomber dans l’excès inverse, il faut bien être conscient qu’en n’alertant pas, on risque de permettre qu’un abus puisse advenir et ne pas dénoncer est répréhensible par la loi.
On parle de 330 000 victimes mais seulement 10 000 se seraient manifestées auprès de la CIASE, pourquoi un tel décalage ?
MLC : D’innombrables victimes ne se sont pas déclarée, mais cela ne veut pas dire que l’agression n’a pas eu lieu. Le conseil d’éthique de l’INSERM a été saisi pour vérifier que l’extrapolation des chiffres donnés par le rapport de la CIASE était sérieuse à plus ou moins 50 000. Ces chiffres nous choquent profondément, et nous plongent dans l’horreur devant tant et tant d’enfants qui ont été abusés et agressés. Le décalage entre ces chiffres et le nombre de victimes qui ont témoigné, signifie que l’immense majorités d’entre elles gardent le silence. C’est ce silence des enfants agressés devenus adultes que révèle le rapport de la Ciase, un silence mortifère. Ces chiffres traduisent que la pédocriminalité dans l’Eglise – comme dans la société – est un phénomène massif. La contestation des chiffres par certains est de l’ordre du déni de la réalité. Ne faudrait-il pas plutôt prendre toutes ses énergies pour que dans l’Eglise, dans les familles, la loi soit posée : on ne touche pas à un enfant, à un jeune ? Le témoignage des victimes est là pour contrer le déni, il atteste de la gravité des choses, c’est pour cela qu’il est important que chacun lise le rapport de la CIASE.
Pourquoi parler des années après l’agression ? Quelle reconnaissance des personnes victimes ?
MLC : Très souvent, la parole de l’enfant agressé n’a pas été entendue, crue ou reconnue. Il a enfoui alors l’agression au plus profond de sa mémoire. Des années ou des décennies plus tard, suite à tel ou tel évènement, de manière très douloureuse et parfois suicidaire, ces évènements remontent brutalement à la conscience. Les personnes victimes parlent alors d’un terrible bouleversement – un « tsunami » – qui détruit leur vie. Il faut alors, quand cela est possible, un travail de restauration de la personne. Ce travail passe, en particulier, par la reconnaissance par l’Église de ce que la personne victime a subi, et par la sanction – par la justice civile et canonique – de l’agresseur quand celui-ci est en vie.
Cette reconnaissance passe aussi par un geste matériel, un geste financier. Une commission indépendante a été créée afin d’accueillir les personnes victimes et décider avec elles de ce geste financier. Les fonds alloués proviendront d’un fonds spécialement créé pour cet objet, le fonds Selam. L’argent, bien sûr, ne rachète pas la souffrance, mais manifeste la reconnaissance par l’Église de ce qu’a subi une personne victime. Aujourd’hui, de nouvelles personnes victimes se manifestent. La plupart demandent à être accueillies, écoutées et reconnues. Personnellement, depuis plusieurs années, j’ai reçu et je reçois un certain nombre de personnes victimes, en particulier suite à ma responsabilité à la Conférence des évêques de France en tant que président du Conseil de prévention et de lutte contre la pédophilie.
Pouvez-vous expliquer le terme “systémique” ?
MLC : L’Église n’est pas accusée d’avoir organisé systématiquement les abus. Mais la dimension systémique tient au fonctionnement ecclésial global qui est responsable du fait de ne pas voir, de ne pas traiter, de ne pas prévenir les abus, ainsi que la minimisation de leur gravité comme de la responsabilité des auteurs autant de la part des clercs que des laïcs. Comme c’était partout pareil en France pendant des décennies, on peut utiliser le terme systémique. C’est cette chape de silence qu’il faut dénoncer.
Lors de leur dernière assemblée à Lourdes, les évêques sont arrivés avec la pression des catholiques, des médias, de la société et, sans doute aussi, celle de l’Esprit-Saint. Au cours de cette rencontre, un temps fut consacré, dans la suite de l’étude de Laudato Si’ du pape François, sur le thème “Clameurs de la terre, clameurs des pauvres” : les personnes en précarité ont interpellé les évêques : “Apprenez à écouter”. Ce cri est le même que celui des personnes victimes ! Autant d’appels, de pressions mais aussi un profond travail intérieur, ont conduit les évêques à une véritable conversion qui leur a permis de prendre ensemble les décisions nécessaires et attendues ; décisions qui marquent un tournant dans la vie de l’Église en France.
Vous parlez de tournant, mais les décisions prises à Lourdes sont-elles assez fortes ?
MLC : Il a été demandé des excuses, la démission des évêques, des gestes forts… Tous les évêques à genoux devant la croix pour demander pardon, c’est un événement fort. Par ailleurs, le lieu mémoriel pour les victimes devrait être pérennisé à Lourdes. Neuf groupes de travail synodaux sur le rapport de la CIASE ont été constitués, composés à majorité de laïcs. Nous souhaitons progresser dans un fonctionnement synodal : pas au-dessus, ni à côté, mais ensemble.
En ce qui concerne la démission des évêques, personnellement, je ne compte pas quitter le bateau dans la tempête. Cela fait 5 ans que tous les jours je traite des affaires d’abus, que je reçois des victimes, que j’œuvre à la prévention et à l’information. Nous avons aussi demandé au Pape François d’envoyer des visiteurs pour faire toute la lumière dans les diocèses. Nous prendrons acte des décisions prononcées suite à cette visite. L’Église va continuer d’accompagner les personnes victimes et travailler avec elles.Quel lien avec la justice civile ?
MLC : La justice de l’Église attend toujours que la justice civile se prononce et n’interfère pas : ce n’est pas à moi, l’évêque, de discerner qui est coupable ou pas ; mais comme évêque j’accueille la parole des victimes et la transmets. Les évêques doivent suivre un vade-mecum très précis de Rome sur la procédure à mettre en œuvre en cas d’alerte. Nous pouvons aussi solliciter la cellule de recueil d’informations préoccupantes (CRIP) des Yvelines, quand nous sommes en présence d’une situation préoccupante pour un mineur. Chaque diocèse a signé une convention avec le parquet du département et bientôt un tribunal pénal national pour l’Église va être créé afin d’éviter l’entre-soi et les collusions.
Que faire des prêtres mis en cause ?
MLC : Lorsqu’un prêtre est mis en cause, la justice civile est saisie ainsi que la justice de l’Eglise – justice canonique – et des mesures conservatoires sont prises vis-à-vis du prêtre, afin qu’il ne représente plus un danger pour des mineurs. Une fois que la justice tant civile que canonique s’est prononcée, l’évêque peut consulter la Commission nationale d’expertise sur la pédophilie qui apporte des éléments pour déterminer ce qui est possible de proposer à ce prêtre, si toutefois, il n’a pas été retiré de l’état clérical. L’important est de ne pas laisser isolé un auteur d’agressions sexuelles car ceci augmente les risques de récidives. Différentes mesures sont donc à prendre en ce sens, dans la mise en œuvre des sanctions demandées par la justice.
On nous demande de progresser dans la prévention des abus en paroisse, qu’en est-il au niveau de l’évêché ?
AS : Le travail continue : des laïcs réfléchissent au niveau paroissial comme diocésain et interrogent leurs pratiques. Les services diocésains pastoraux se forment : Ségolène Moog, directrice du service pour la protection des mineurs de la Conférence des évêques de France, est venue les rencontrer. Elle est également intervenue récemment lors d’une journée de formation permanente des prêtres sur le rapport de la CIASE et sur les repères de prévention à mettre en œuvre dans la pastorale des jeunes. Bientôt un référent diocésain sera nommé pour se consacrer à la prévention des abus au sein d’une commission de protection des mineurs, pour réaliser notamment, pour réaliser notamment une cartographie des risques par lieu et par type d’événements.
MLC :La formation des futurs prêtres, futurs animateurs et encadrants et le discernement lors de leur appel sont essentiels. La maturité affective des adultes en situation éducative avec des mineurs est un critère très important, ainsi que le travail en équipe. Des règles claires doivent être mises en œuvre et une vigilance est nécessaire en permanence. Lors de l’Assemblée plénière de Lourdes il a été décidé d’obtenir les antécédents judiciaires de toute personne devant travailler en pastorale auprès de mineurs. Un travail devrait également être mené au niveau de la confession. Il s’agit pour nos prêtres et fidèles de revenir aux fondamentaux de la confession : Le temps sacramentel est celui de l’aveu des péchés et de l’absolution qui suit. Il doit être court. Rien n’empêche en revanche le dialogue avant ou après la confession, dans le cadre d’un temps pastoral qui n’est pas couvert par le secret de confession.
AS : Le service diocésain de la Mission pour la Famille est aussi mobilisé : il proposera des outils et des personnes ressources pour accompagner les enfants, leur expliquer selon l’âge et sans les traumatiser, comment se comporter et comment nommer une situation dangereuse. Tous, nous devrions nous former à l’écoute active notamment et apprendre à discerner les signaux faibles d’une souffrance. C’est dans ces conditions que la confiance reviendra.
- Cellule centralisée des informations préoccupantes des Yvelines – Tél : 01 39 07 74 30 ccip@yvelines.fr
- Cellule diocésaine d’accueil des victimes d’abus sexuels :ecoutevictimes@catholique78.fr
- Plateforme indépendante et nationale d’aide aux victimes d’abus sexuels dans l’Église : 01 41 83 42 17 – entre 9h et 21h.
Tous les jours y compris les dimanches et jours fériés.
- Service National d’Accueil Téléphonique pour l’Enfance en Danger (SNATED) : 119