Un nouveau monument historique dans le diocèse !
Découvrir l’église Saint-Vincent-de-Paul à Villepreux, c’est d’abord un étonnement. Son histoire atypique, sa façade monumentale, la manière dont elle s’imbrique dans le quartier de la Haie-Bergerie, le décor extérieur et intérieur qui prend le pas sur l’architecture de l’édifice, les hommes et les femmes enfin, qui par leur talent, leur foi ou leur contribution financière ont participé à sa construction : tout est motif à surprise !
Une église protégée
Le « label patrimoine XXe siècle » lui a été attribué en 2011. En 2020, elle est inscrite comme Monument historique. L’église est dorénavant reconnue par l’État qui acte ainsi l’urgence de sa conservation et de sa restauration. Pour l’Association Diocésaine de Versailles, le défi est maintenant d’en faire un lieu plus adapté à la liturgie.
Elle est construite entre 1964 et 1968 dans des années de « bouillonnement sociétal » : mai 68, nouvelle vision de l’urbanisme, période post-conciliaire, nécessité de construire des logements pour de nouvelles populations arrivant sur le territoire… L’église est bien un marqueur de son temps. Financée par les villepreusiens, elle a été voulue par le promoteur Jacques Riboud, conçue par l’architecte urbaniste Roland Prédieri – communiste dans sa jeunesse puis maire socialiste de Villepreux – et décorée par le peintre fresquiste Robert Lesbounit qui se disait athée. La construction est résolument originale, située dans un quartier populaire d‘une ville nouvelle, incorporée dans des immeubles bas, en forme de U et au cœur de maisons individuelles avec petits jardins.
L’église : élément de décor dans le paysage urbain
Saint-Vincent-de-Paul est d’abord un décor avant d’être une architecture. Les matériaux utilisés ont été choisis suivant un parti pris d’économie. Ils s’apparentent à ceux d’une usine : brique, béton, carrelage, toiture en forme de verrière ou « sheds » colorés à l’origine mais vite délavés.
Sur la façade longue d’une trentaine de mètres ont été gravées « a fresco » sur du béton des scènes de la vie de saint Vincent de Paul (sa naissance à Pouy, sa charge d’aumônier des Gondi, la fondation des filles de la Charité, les lieux de ses missions) entremêlées de symboles de l’Apocalypse dont l’iconographie est complexe (les sept églises, le chandelier, l’alpha et l’oméga, les étoiles, les quatre vivants).
Elle marie aussi deux styles : l’esthétique médiévale transparaît dans la sobriété des formes, les longues mains démesurées, et la lettre des commentaires inscrits sur le mur, immergée dans une création résolument moderne. L’ensemble est magistral et l’œil s’arrête, émerveillé par la puissance et la beauté des fresques.
Entrons : la porte est décentrée par rapport à l’autel ; c’est la croix qui est au centre. L’intérieur du bâtiment est sombre, le mur du fond en briques rappelle un univers ouvrier proche du milieu industriel du Nord. Le père de Chaillé, curé de la paroisse commente : « on entre dans le tombeau, on ne voit rien ; s’ouvre alors un chemin pascal ». En effet, les sheds colorés qui représentent des passages de la Création devaient apporter toute la lumière et évoquer la re-création.
Sur les murs intérieurs les fresques noires sont omniprésentes, peintes sur une toile marouflée – dessins à la plume à la manière de Gottlieb – gigantesques et effrayantes. Elles représentent elles aussi des scènes de l’Apocalypse : avant d’arriver à la Jérusalem céleste, défilent les quatre cavaliers de l’Apocalypse, le violent tremblement de terre, l’Agneau
aux sept cornes et aux sept yeux sur son trône, la Vierge qui enfante, le terrible dragon, le totem de l’idolâtrie …
« Je n’aurais jamais choisi cette église-là dans cet état-là »
C’est avec passion que le père de Chaillé nous a fait visiter son église. L’intérieur abîmé n’est certes pas aussi beau qu’il le souhaiterait, mais le père aime son église qui est aussi celle des habitants qui l’ont financée. D’ailleurs, l’ambiance chaleureuse et fraternelle de la communauté paroissiale ne souffre pas des détériorations intérieures. Sur les verrières, la lumière a pâli et n’éclaire plus les fresques expressionnistes. Et cela nuit à la liturgie : celle-ci est contrariée par ce décor trop présent, dense et écrasant. La restauration envisagée pourrait y remédier.
C’est dans une situation d’urgence que l’église a été inscrite aux Monuments historiques. C’est un édifice magistral, méconnu et abîmé, témoin d’une époque, qu’il est indispensable de conserver. Le père de Chaillé a choisi d’utiliser les fresques et le décor comme supports à sa prédication et les paroissiens y sont sensibles. Dans ce sens-là, du grand saint Vincent de Paul, il a l’esprit missionnaire.
Élisabeth Fatus et Sabine de Maupeou
Photos A Dagallier et E Fatus, Juin 2021
Interview d’une paroissienne
L’église Saint-Vincent-de-Paul de Villepreux : « On l’aime ou on ne l’aime pas… » Danielle Beck, passionnée, a choisi de la défendre, surtout lors des journées du Patrimoine.
Après 40 ans de vie paroissiale intense dans cette église (équipes liturgiques, funérailles baptême, scoutisme, décoration florale), quel est votre ressenti premier ?
C’est une église riche ! Certes quand on y rentre, on a du mal à trouver immédiatement la présence de Dieu… Il faut qu’il y ait beaucoup de monde lors d’une célébration pour accepter cette église, son décor écrasant et ses figures effrayantes.
Quels sont vos meilleurs souvenirs ici ?
Tout près, les kermesses organisées chez Madame de Saint Seine qui prêtait le parc de son château à Villepreux. C’était le « nerf de la guerre » qui rapportait beaucoup d’argent pour le financement de l’église. Ces kermesses mobilisaient toutes les générations durant pratiquement trois mois autour de l’événement !
Et pour moi, dans cette église, au cœur des multiples célébrations vécues, le mariage de ma fille, les funérailles de mon mari et plus récemment celles d’un militaire avec un rendu magnifique de tous les drapeaux dans cette grande nef.
Les paroissiens et les prêtres ont-ils assumé dès le début de ce projet ce décor monumental de fresques noires tirées du livre de l’Apocalypse ?
Oui, plutôt bien, parce que tous les habitants de la Haie-Bergerie étaient contents d’avoir leur église, et de surcroît la plus grande du doyenné ! Certains prêtres ont su en tirer des catéchèses.
Le large parvis est magnifique, la façade annonce ce qu’il y a à l’intérieur, la phrase tirée de l’Évangile inscrite au-dessus de la porte est très belle, de partout au dedans on voit l’autel. Certes, il manque un chemin de croix et des cloches… et le tabernacle est difficile à trouver !
A propos, pourquoi l’Apocalypse, le livre le plus ardu du Nouveau Testament ?
C’est le choix de l’architecte, pourtant athée, Roland Predieri, qui est tombé sous le charme de la lutte du bien et du mal dans l’Apocalypse, et du peintre fresquiste Robert Lesbounit. Ils ont exclusivement travaillé sur ce thème.
L’incorporation de l’église au cœur des habitations qui l’enveloppent sur trois côtés répondait-elle à une volonté liturgique post-conciliaire ?
Pas du tout ! L’architecte de l’époque était plutôt dans une démarche d’économie constructive qui faisait qu’on pouvait partager la facture d’eau, d’électricité et de gaz avec les immeubles !
Et comment envisagez-vous l’avenir ?
Il reste à faire parler les anciens qui ont vécu la pose de la première pierre… Quant à moi, j’ai quarante années de photos à transmettre aux archives du diocèse. Mais surtout, je rêve de la rénovation des sheds pour enfin redécouvrir le chatoiement de leurs vraies couleurs sur les fresques.