Sainte Cécile – 22 novembre
Vierge et martyre, patronne des musiciens et des luthiers, elle est représentée dans plusieurs églises des Yvelines.
Sainte Cécile, patronne des musiciens, fêtée le 22 novembre, est citée dans le canon de la messe dès le IVe siècle. Sa vie est relatée dans une Passio Sanctæ Caeciliæ appartenant au martyrologe de la fin du Ve siècle. Bien que ce récit poétique soit enjolivé, la véracité des événements est confirmée et éclairée par les fouilles archéologiques des catacombes romaines et de la maison du Transtevere sur laquelle a été construite l’église Sainte-Cécile, à Rome, ainsi que par le déchiffrement des inscriptions qui y ont été mises au jour. S’y ajoute la découverte du corps resté intact de la martyre.
Une erreur de traduction ?
C’est une traduction erronée qui, à la fin du XVe siècle, a fait de sainte Cécile la patronne de la musique, et plus spécialement de la musique religieuse[1]. Le martyrologe (office de sainte Cécile) raconte que, le soir de ses noces, au milieu des chants joyeux et de la musique qui accompagnent la fête, Cécile, qui a fait vœu de chasteté, ne cesse de prier pour que tous la rejoignent dans l’amour du Christ. Un passage du texte « Cantantibus organis, Cæcilia in corde suo soli Domini decantabat dicens : Fiat cor meum et corpus meum immaculatum ut non confundar » a été mal interprété et le traducteur a omis les mots « in corde suo », transformant Cécile en chanteuse s’accompagnant à l’orgue, alors qu’elle « chantait les louanges de Dieu dans son cœur tandis que les instruments jouaient… »
Comment est-elle représentée ?
Les innombrables peintres et les sculpteurs[2] qui se sont intéressés – surtout à partir du XVIIe siècle – à son attachante figure, la représentent toujours jouant d’un instrument de musique : le plus souvent, elle porte un orgue ou est assise devant un clavier, mais elle joue aussi du violon, du violoncelle, de la basse de viole, de la contrebasse, du luth, de la harpe.
Parfois, Cécile tient une partition et chante. Elle est fréquemment entourée d’anges qui l’accompagnent sur des harpes et des luths, ou qui chantent. Souvent, elle oublie de jouer de son instrument et, les yeux levés au ciel, comme ravie en extase, elle écoute la musique céleste. C’est ainsi qu’elle resplendit dans la lancette de droite d’un vitrail de l’église Sainte-Anne à L’Étang-la-Ville où le maître verrier s’est inspiré directement du célèbre tableau de Raphaël (Pinacothèque de Bologne). La lancette de gauche est occupée par saint Louis. Au-dessus des lancettes, le lys et la rose font référence à chacune des deux figures : le lys de la royauté pour saint Louis, et aussi le lys en association avec la rose pour sainte Cécile, pour rappeler les couronnes que son ange gardien pose sur sa tête et celle de son époux après sa conversion.
À Saint-Germain du Chesnay, sur un vitrail offert par Cécile Furtado Heine le 25 juillet 1878, la sainte, regardant vers le ciel, captivée par les mélodies divines, tient un orgue portatif dont elle ne joue pas.
Dans une chapelle de l’église Saint-Martin à Triel-sur-Seine, une grande huile sur toile anonyme la montre jouant de la lyre en compagnie d’un jeune luthiste, probablement un ange. Tous deux sont assis dans un paysage boisé, sur un large coussin les isolant de la dureté d’un dallage. Aux pieds de sainte Cécile reposent des partitions ouvertes.
Sur les grandes orgues de nombreuses églises à travers toute la chrétienté, sainte Cécile jouant d’un orgue portatif forme un duo avec le roi David accompagnant de sa harpe les psaumes qu’il a composés. C’est le cas à l’église Notre-Dame de Versailles où ces deux musiciens figurent sur des médaillons sculptés ornant les panneaux de l’ancien orgue de chœur (actuellement démonté et déposé dans le grenier de l’église).
Récit de la vie de sainte Cécile
Née sans doute au début du IIIe siècle dans la Rome impériale à l’apogée de sa splendeur, Cécile appartient à la grande et héroïque famille des Cæcilii, dont l’ancienneté et la noblesse remontent au temps de la République romaine. Les tombeaux de ces patriciens, le long de la Voie Appienne, témoignent de cette puissance. Cécile passe son enfance et sa jeunesse dans la riche demeure familiale du quartier du Champ de Mars. Alors que ses parents sont païens, Cécile est chrétienne en grand secret, baptisée dès son enfance. Nous ne savons pas quand, comment et par qui elle a été instruite dans la foi au Christ. Mais depuis le passage à Rome des apôtres Pierre et Paul, et malgré les persécutions, de nombreuses conversions se sont opérées jusque dans les familles patriciennes.
Epouse mais consacrée à Dieu
Quand Cécile est en âge de se marier, ses parents la fiancent à Valérien, un jeune homme digne d’elle, mais qui n’est pas chrétien. Au soir de leurs noces célébrées selon les rites romains, quand les deux jeunes mariés se trouvent seuls dans la maison des Valerii au Transtevere, Cécile révèle à Valérien qu’elle est consacrée à Dieu, et lui demande de respecter sa virginité. Elle ajoute qu’un ange la protège. Si Valérien se convertit, il pourra voir cet ange et la grâce de Dieu s’étendra sur lui. Troublé, et pensant avoir à faire à un rival, Valérien accepte sans hésiter le conseil de Cécile de se rendre sur la Voie Appienne pour y rencontrer le pape Urbain (222-230), évêque de Rome afin d’être instruit dans la religion chrétienne et de recevoir le baptême.
Urbain rend grâce à Dieu de ce que Valérien va devenir chrétien lui aussi, et il prononce cette belle prière : « Seigneur Jésus Christ, reçois la moisson que tu as semée en Cécile ». Valérien revient auprès de Cécile. Alors il voit son ange, brillant comme une flamme, une splendide créature qui reflète la beauté et la puissance de Dieu. L’ange tient dans ses mains deux couronnes de lys et de roses : il en pose une sur la tête de Cécile, et l’autre sur celle de Valérien auquel il demande quelle grâce il désire. Valérien souhaite la conversion de son frère Tiburce. Il sait pourtant le danger que représente le fait d’être chrétien, mais le don total de sa vie à Dieu est plus fort que la crainte.
Un couple chrétien prenant des risques
Vivant dans la chasteté, le couple se consacre aux œuvres de charité, nourrissant et soignant les pauvres dans leur maison. Encouragés par Cécile, Valérien et Tiburce décident d’agir tout de suite en chrétiens. La persécution fait rage contre eux dans la ville de Rome, et les magistrats ne permettent même pas qu’on ensevelisse les corps des « martyrs ». Les deux frères inhument secrètement les restes des victimes dans leurs jardins, dans leurs domaines hors de la ville ou dans ceux de leurs amis. Cécile possède une villa sur la Voie Appienne, proche des catacombes. On y creuse des tombes, on y célèbre des cérémonies.
Jusqu’au martyre
Valérien et Tiburce sont dénoncés, arrêtés et comparaissent devant le préfet Almachius qui les condamne à mort. Sur le chemin du supplice, ils convertissent le soldat Maxime chargé de leur surveillance. Au moment où ils sont frappés du glaive, leurs gardiens voient les anges de Dieu qui viennent recevoir leurs âmes. Condamné avec eux, Maxime est assommé et tué à coups de fouet. Cécile s’occupe de leur inhumation dans la catacombe de Prétextat. Dénoncée pour cette action, elle est faite prisonnière dans sa maison nuptiale, et est à son tour jugée par Almachius. Pleine de courage et soutenue par sa foi en Dieu, elle répond de manière concise et limpide à toutes les questions. Almachius, transporté de colère, la condamne à mort. Enfermée dans le caldarium des bains de sa maison, elle doit périr par suffocation. Mais ce supplice est inopérant : indemne, Cécile chante une hymne de joie qui bouleverse les témoins. L’entendant prier à haute voix, Almachius hésite, saisi par le miracle. Mais la crainte d’une disgrâce arrête le mouvement de son cœur qui ne veut d’autre maître que César. Il condamne Cécile à mourir par l’épée.
En allant au martyre, Cécile entend la musique de Dieu qu’elle accompagne de chants mélodieux. Le licteur la frappe trois fois, sans pouvoir faire tomber cette tête innocente. La loi romaine interdisant un quatrième coup, Cécile est abandonnée profondément mutilée et agonise pendant trois jours. Elle meurt en présence du pape Urbain auquel elle a confié ses derniers désirs : que ses biens soient distribués aux pauvres, et que sa maison devienne une église. Elle est enterrée au cimetière Saint-Calixte, près de la crypte funéraire des premiers papes.
Les traces historiques
Dès le IVe siècle, l’église Sainte-Cécile au Transtevere, à Rome, est construite sur le lieu de son martyre. La dédicace a lieu un 22 novembre, date retenue dès lors pour la solennité de sainte Cécile. Les fouilles archéologiques entreprises à partir de 1990 montrent que les bains de la maison ont été transformés en baptistère.
En 821, le pape Pascal Ier (817-824) la restaure et la décore de mosaïques ; il fait transférer les corps de sainte Cécile (retrouvé au cimetière de Calixte grâce à une inscription), Valérien, Tiburce et Maxime, et des papes Urbain et Luc. Il découvre le corps de la sainte intact et le fait placer dans un sarcophage qui est disposé dans la crypte de l’église élevée au rang de basilique. Les fresques qui l’ornent sont dues à Pietro Cavallini (1250-vers 1334). Les chrétiens viennent nombreux prier auprès des reliques de la sainte.
Longtemps après, en 1599, le cardinal Paolo Emilio Sfondrato, alors titulaire de la basilique, fait ouvrir le sarcophage de Cécile et y découvre le corps intact. Commandé en 1600 par le pape Clément VIII (1592-1605), le marbre du sculpteur Stefano Maderno (1576-1636) la représente telle qu’elle apparut, allongée sur le côté droit, enveloppée d’une longue robe, les genoux fléchis et serrés l’un sur l’autre, la tête tournée vers le sol, les cheveux relevés sous un voile, et le cou portant la trace du glaive. Les bras allongés se rejoignent aux poignets ; l’index de la main gauche, isolé, et trois doigts de la main droite, signifiant 1 et 3, rappellent le mystère de la sainte Trinité. Cette exhumation redonne un nouvel élan au culte de sainte Cécile, que l’Église honore sous le titre de vierge et martyre : vierge parce qu’elle s’est donnée à Dieu seul ; martyre, parce qu’elle n’a pas craint de dire ouvertement qu’elle était chrétienne, et a souffert la mort pour le nom du Christ.
Cécile COUTIN
octobre 2020
Bibliographie sommaire
- Dom Prosper Guéranger.- Histoire de sainte Cécile, vierge et martyre. Paris, J. Lecoffre et Cie, 1849.
- Robert Kemp.- Sainte Cécile, patronne des musiciens. Paris, Albin Michel, 1942.
- Filippo Caraffa et Antonio Massone.- Santa Cecilia martire romana. Passione e culto. Roma, Centro di Spiritualità liturgica, Titulus Caeciliae, 1983.
[1] Nombreux sont les compositeurs qui ont été inspirés par leur sainte patronne, lui dédiant des œuvres majeures : Sébastien de Brossard, Henry Du Mont, Michel-Richard de Lalande, Peter Philips, Henry Purcell, John Blow, Alessandro Scarlatti, Haendel, Joseph Haydn, Charles Gounod, Franz Liszt, Ernest Chausson, Benjamin Britten. Sainte Cécile a détrôné saint Julien des Ménétriers, ancien patron des musiciens, des chanteurs et des luthiers. De nombreuses sociétés musicales ont pris son nom et la célèbrent annuellement le 22 novembre. Des écrivains lui ont aussi dédié des odes (Pope, Dryden, Addison, Comte Anatole de Ségur) et des drames sacrés (H. Le Sablais, Henri Ghéon). La cathédrale d’Albi, patrimoine mondial de l’UNESCO, est sous son patronage.
[2] Peintres : Raphaël, Carlo Dolci, Dominiquin, Romanelli, Artemisia Gentileschi, Jacques Stella, Jacques Blanchard, Nicolas Poussin, Pierre Mignard, Rubens, Anton Van Dyck, Lorenzo Pasinelli, Luca Giordano, Domenico Zampieri, Carlo Saraceni, Raphael Mengs, Josuah Reynolds, William Bouguereau, Charles Filiger.
Sculpteurs : Stefano Maderno, Charles Hoyau, Pierre Puget, Michel Clodion, David d’Angers, Charles Jacob.