Sur les pas des pèlerins dans l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe de Houdan
A la découverte d’une fresque illustrant un pèlerinage paroissial vers Montserrat entrepris il y a 500 ans et qui orne les murs d’une chapelle latérale de l’église Saint-Jacques – Saint-Christophe de Houdan
Loin de faiblir, la pratique du pèlerinage bien ancrée dans la tradition chrétienne dès les premiers siècles, connaît aujourd’hui un regain de ferveur dont l’engouement pour le chemin de Compostelle n’est qu’un des signes spectaculaires. En fait, les routes de la Chrétienté sont constellées de lieux où nos prédécesseurs dans la foi vinrent prier et espérer. Nombre de nos églises portent, inscrit dans leurs pierres, le témoignage de ces démarches.
Une œuvre méconnue, témoignage de la ferveur populaire…
Ainsi, dans l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe de Houdan, une fresque redécouverte en 1949 après nettoyage du badigeon qui la cachait aux regards et remise en état en 1956, retient toujours l’attention du visiteur. Elle conserve la mémoire d’un événement paroissial survenu il y a bien longtemps : en 1582, alors qu’une épidémie de peste sévissait sur toute la région et qu’on multipliait les processions de ville en ville pour écarter le fléau, trente-et-un paroissiens se rendirent jusqu’à Montserrat, auprès de la Vierge, pour implorer miséricorde[i]. Cette fresque, logée dans une chapelle du bas-côté nord de l’église, représente cette entreprise qui n’est pas exempte d’héroïsme. 900 kilomètres à pied, voilà qui demande abnégation et persévérance !
Pour les chrétiens d’aujourd’hui, cette œuvre de l’art sacré populaire est plus qu’une curiosité ou un témoignage historique. Dans sa naïveté même, elle exprime le sens de la démarche de pèlerinage et ouvre des chemins de méditation.
La route et le Royaume
Tout le mur Est de la chapelle consacrée à Notre-Dame de Montserrat montre, à la manière d’un gigantesque ex-voto, les pèlerins en route vers le sanctuaire catalan de Montserrat. Des indications topographiques attestent qu’ils arrivent au terme du voyage : Monnesetrole (Monistrol), Egoulade (Igualada)[ii]. Puis vient la chapelle du « trespassement Nostre Dame ».
Le chemin serpente et monte, figurant la longue marche de ceux qui progressent d’un même élan vers le sanctuaire espéré : hommes de haute condition, bourgeois, femmes portant le rosaire, et même … un unijambiste qui s’aide de sa canne. Le mouvement anime chacune des figures : les pèlerins sont en marche ; on devine qu’ils gravissent la montagne. Ceux qui font halte pour prier lèvent les yeux vers le ciel ; celui qui conduit le cortège désigne le but que tous doivent atteindre : le sanctuaire, encore au loin, entrevu au détour de la route. Dans cette espérance active se dessine une fonction essentielle du pèlerinage : la route est métaphore de la vie quotidienne, avec ses difficultés et ses échecs ; elle est aussi anticipation du Royaume, du face-à-face avec Dieu², ardemment désiré par le fidèle.
On remarquera enfin, dans cette composition de l’art populaire totalement étrangère aux canons classiques, deux représentations de la Vierge à l’Enfant. Leur mise en relation est pleine d’enseignements.
À droite, la figuration la moins lisible de nos jours, dans une version plus hiératique, représente la statue vénérée par les foules qui siège dans la grotte devenue sanctuaire, au cœur des bâtiments de l’abbaye.
En revanche, au centre de la fresque, la Vierge Marie tient son enfant en train de scier une montagne. Pour étrange qu’elle paraisse, cette représentation renvoie simplement à la topographie unique de l’endroit : en effet, Montserrat en catalan, signifie « mont en dents de scie »[iii].
La disproportion de la figure, dans une œuvre qui ignore totalement la perspective, signifie l’importance de Marie pour les pèlerins, elle que le Salve regina célèbre
comme Mater misericordiæ, « Mère de miséricorde » et spes nostra, « notre espérance ». Vers elle peut se tourner le fidèle quand il est accablé par le poids de l’existence. Ce n’est pas la statue que met en valeur la fresque, mais bien ce qu’elle représente : Marie, au visage grave, portant l’enfant Jésus, s’impose au centre de la composition. C’est à sa rencontre que marche le pèlerin. La piété populaire ne se trompe pas d’objectif.
Une démarche personnelle dans le corps de l’Église
À force de scruter l’ensemble peint, des détails apparaissent peu à peu : tous les pèlerins portent bâton, chapeau et manteau court – ce qu’on appelle précisément une pèlerine. L’un d’entre eux a la gourde à la main. À ces attributs, on identifie facilement le cortège. Mais cette uniformité ne signifie pas pour autant dépersonnalisation. Ainsi arraché à l’oubli, le nom de chacun a été consigné, en belles lettres soignées : Jacques Foulon, Philippes de la Planche, N. Thoullery, Anthoine Langlois, Michelle femme de Nicollas Barbot… Loin d’être anecdotiques, ces notations rappellent que le pèlerinage est démarche personnelle, élan du cœur confiant du fidèle. Quand la fresque est réalisée, au retour, la communauté de cette lointaine époque fait mémoire de chacun de ses membres engagés dans le pèlerinage et faisant corps ensemble pour la prière.
Le long cortège des pèlerins de 1582 n’est pas le seul signe qui invite à méditer le cheminement de l’Église au long de l’histoire. La communauté, sans doute portée par la confrérie montserratine fondée en 1583, au retour du grand pèlerinage, a prolongé la tradition. Au mur nord, une autre fresque, moins importante, date de 1596 : on y voit quatre pèlerins à genoux arrivant au sanctuaire, les mains jointes, couvertes par leur chapeau en signe de révérence.
Sur le pilier qui ouvre la chapelle, c’est un abbé qui se tient en prière, placé devant un autre homme qu’il masque en partie : nous sommes en 1672. D’autres pèlerins ont refait la même route en 1982, 2009 et 2014. La chapelle conserve les signes de ces nouveaux voyages sous forme de photographies ou encore d’un drapeau catalan largement déployé qui souhaite la bienvenue aux marcheurs d’aujourd’hui.
Quel peut être le sens d’une telle tradition ? L’immuable route, de Houdan à Montserrat, se poursuit au fil du temps. Ainsi se trouve illustrée la signification eschatologique du pèlerinage : il est à la fois image et expérience de la route de l’Église vers la fin des temps, vers l’au-delà de l’histoire humaine et vers la Jérusalem céleste promise dans le livre de l’Apocalypse (21-22), où « Dieu sera tout en tous » (1 Co 15, 28).
Marie-Christine Gomez-Géraud
Bibliographie :
- Jean Chélini et Henry Branthomme, Les Chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens, Paris, Fayard, 1982
- Josep de C. Laplana, Nigra sum : Iconografia de Santa Maria de Montserrat, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1995
- Ignasi Fernandez Terricabras,« Montserrat, montagne sacrée. Spiritualisation du territoire montagnard dans un massif catalan (XVIe-XVIIIe siècles) », S. Brunet, D. Julia et N. Lemaître (eds.), Montagnes sacrées d’Europe, Actes du colloque Religions et montagnes sacrées, publications de la Sorbonne, 2005, p. 193-206
- Paul Roussel, « Les vierges noires du Mantois », Le Mantois, 8-1957, p. 20-24
NOTES
[i] On peut se demander pourquoi c’est Montserrat qui a été choisi comme destination. La compilation de la littérature de l’époque sur les pèlerinages atteste le renom du sanctuaire catalan en Europe de l’Ouest, juste après celui de Loreto en Italie. Il est aussi possible que l’attrait pour une Vierge noire ait joué quelque rôle dans ce choix de la Morenita (la Brunette) honorée à Montserrat. On connaissait bien sûr Notre-Dame-de-sous-terre à Chartres. Les historiens font mention d’une vierge brunie à Villette, non loin de Houdan. Voir Paul Roussel, « Les vierges noires du Mantois », Le Mantois, 8-1957, p. 20-24.
[ii] Josep de C. Laplana, Nigra sum : Iconografia de Santa Maria de Montserrat, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, p. 45, donne une description informée de la fresque de Houdan. Il signale aussi l’existence d’une confrérie montserratine fondée après le pèlerinage de 1582.
[iii] Une légende relayée par les gravures populaires rapporte que Marie et Jésus voyageant ensemble par la Catalogne, l’enfant détruisait de sa scie tous les obstacles qui s’opposaient à leur progression. Elle a assez circulé pour que le « mont serrat » soit emblématisé par la scie et ainsi identifié d’un bout à l’autre de l’Europe.
Photographies de l’article : Nathalie Lockhart et M.-C. Gomez-Géraud.