Transfiguration, un vitrail-kaléidoscope à Guyancourt
En nous éclaboussant de sa lumière, ce vitrail du choeur de l’église Saint-Victor nous donne de regarder une image qui n’est pas figée, qui fait appel à de multiples harmoniques pour nous introduire à la vision d’un monde transfiguré.
L’église St Victor de Guyancourt fait partie de ces belles églises rurales du diocèse dont on aime la simplicité et l’équilibre. Les sarcophages mérovingiens retrouvés dans ses fondations, les restes d’un prieuré du 10ème, le clocher du 13ème, le chœur reconstruit au 16ème témoignent d’une longue histoire qui se poursuit encore en 1954 avec la création des vitraux que nous voyons dans le chœur. Ils remplacent les anciennes verrières détruites lors du bombardement du 23 juin 1943.
Comme un kaleidoscope
Dès l’entrée dans l’église ces vitraux, sertis dans trois fenêtres gothiques, attirent le regard. On voit étinceler, comme dans un kaléidoscope, l’éclat de leurs verres aux vives couleurs sans encore discerner le sujet de la verrière centrale, la seule à être historiée. Il faut avancer dans la nef pour découvrir une Transfiguration que surplombe le Père dans un médaillon ajouré. Le schéma classique de cette verrière va nous révéler quelques “pépites” en ses détails.
Ces vitraux sont l’œuvre de Charles Mauméjan (1888-1957), dernier d’une lignée de 3 générations de peintres et maîtres verriers. Formé aux Beaux-Arts de Paris, il s’intéresse à l’Art nouveau et crée les vitraux de Guyancourt en 1954. Dans cette verrière, représentative de son style, il s’éloigne des détails de l’iconographie traditionnelle de la Transfiguration, rendant difficile l’identification des apôtres, mais éclairant, à leurs façons, le récit de la Transfiguration (Mt 17,1-9 ; Mc 9,2-10 ; Lc 9,28-36).
Moïse et Elie
Un halo lumineux, au centre des trois lancettes, unit trois personnages facilement identifiables : au centre le Christ, à sa droite Elie tenant un livre, le livre des Rois (1R17-2 R2) ou le recueil des Prophètes, à sa gauche Moïse portant les tables de la Loi. Les rayons qui émanent de sa tête traduisent ce verset de l’Exode : “Moïse descendit de la montagne du Sinaï avec, dans sa main, les 2 tables du Témoignage…. la peau de son visage était rayonnante de lumière : il avait parlé avec Dieu !” (Ex 34,29)
Moïse et Elie figurent la Loi et les Prophètes qui nous révèlent le Christ, selon les paroles mêmes de Jésus aux pèlerins d’Emmaüs : ” Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. » (Lc 24,27).
Ces deux grandes figures de la première Alliance sont là aussi comme témoins, la loi juive requérant le témoignage de deux ou trois personnes pour certifier un fait. A eux deux, ils garantissent la présence vivante “aujourd’hui” de Celui qu’ils ont annoncé et “préfiguré”, le Christ, Parole de Dieu faite chair.
La montagne
De la “montagne”, les évangélistes ne nous donnent aucune précision géographique. “Elevée“, selon Matthieu et Marc, elle est traitée de façon tout à fait inhabituelle pour une image de la Transfiguration. Son flanc, représenté généralement désertique, est ici couvert de verdure et même de fleurs. Il évoque le pâturage, l’herbe verte sur laquelle le bon Pasteur conduit ses brebis, l’herbe verte sur laquelle s’asseyent les affamés de Dieu avant que le pain ne soit béni, rompu, partagé (Mc 6,39).
Charles Mauméjan fait ainsi vibrer devant nos yeux le Ps 23 et la prophétie d’Isaïe : “Le désert et la terre de la soif, qu’ils se réjouissent ! Le pays aride, qu’il exulte et fleurisse comme la rose, qu’il se couvre de fleurs des champs, qu’il exulte et crie de joie ! (Is 35,1-2)
La montagne, c’est aussi, pour ces deux grands témoins du Premier Testament, le haut-lieu de leur rencontre avec Dieu : montagne fumante du Sinaï où Moïse reçut les deux tables de la Loi, montagne de l’Horeb dans laquelle se tint Elie en quête d’un Dieu qui ne se révèle ni dans le vent violent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans un “silence ténu” (littéralement en 1Rois 19,12). C’est la Montagne de Dieu, la montagne spirituelle où l’homme rencontre Dieu selon la tradition patristique que St Jérôme exprime si bien dans son Commentaire de Marc : “En vérité, dès lors que nous nous livrons à une lecture spirituelle, nous nous situons sur la montagne… Je lis la Loi ou les prophètes de telle sorte qu’à travers eux et au-delà d’eux je puisse atteindre le Christ. » (St Jérôme PLS II)
Les disciples dans le registre inférieur
Dans le registre inférieur aux tons rouges, mordorés, orangés, les trois disciples Pierre, Jacques et Jean éblouis, tombent à la renverse. Ils ont de quoi être retournés : le Christ, qui vient juste de leur apprendre qu’il devait souffrir beaucoup et être rejeté, leur paraît maintenant transfiguré, sa face brillant comme le soleil.
Pierre qui s’était violemment élevé contre la première annonce de sa Passion par Jésus, venait même d’être été repoussé par lui en ces termes : “Arrière de moi, Satan !” (Lc 16,23 et Mc 8,33). Est-ce lui, à droite, qui osant à peine regarder son maître lève des bras effrayés et implorants ?
A gauche vraisemblablement, Jacques et Jean, les 2 frères, surnommés “fils du tonnerre” par Jésus (Mc 3,17), se retrouvent eux-aussi aveuglés, à terre, pied et main ancrés dans le sol, fascinés par celle lumière qui vient d’en haut et que leurs yeux ne peuvent soutenir.
Au centre, le Christ
Au centre, le Christ se tient debout sur la montagne, au cœur d’une lumière qui évoque la nuée lumineuse, signe de la
présence de Dieu au milieu des Hébreux (Ex 13, 21 ; 19, 9). Il a la tête auréolée d’un nimbe crucifère marqué de la croix rouge couleur de sang et de feu. Il lève les yeux vers le Père qui tourne vers lui un visage attentif. Le Père parle, les deux doigts de la main droite levée selon l’ancien geste de l’orateur (qui ne sera compris comme une bénédiction qu’à partir du 15ème), voix, venue de la nuée, proclamant : “Celui-ci est mon Fils, le bien-aimé“.
En cette parole qui reprend celle venue des cieux lors du Baptême, se révèle la tendresse du Père pour son fils qui, rejeté par la caste sacerdotale et par les siens, va mourir comme il vient de l’annoncer à ses disciples. Par ce qualificatif de “Fils bien-aimé“, le destin de Jésus est lié à celui d’Isaac, “fils bien-aimé d’Abraham” (Gn 22,2), dont le récit est lu avant celui de la Transfiguration les deuxièmes dimanches de Carême des années A, B et C.
“Ecoutez-le“ : C’est cette injonction, non inscrite sur le vitrail et absente des évangiles du Baptême, qui fait naître ici un jeu de mains très éloquent. Immenses, elles se répondent les unes aux autres, rythmant le vitrail d’une façon inédite. Charles Mauméjan a su les faire parler d’une façon tout à fait inhabituelle dans une scène de la Transfiguration.
Le Fils se reçoit de son Père vers qui il tend la main droite tandis que sa main gauche tournée vers lui signifie qu’il est l’accomplissement de cette parole, lui, le Verbe de Dieu. En même temps Elie lève la main droite ouverte en geste d’acceptation et Moïse montre les tables de la Loi qui scellent l’Alliance de Dieu avec tout son peuple.
Quant aux trois apôtres, qui ne peuvent encore comprendre le sens de ce qu’ils voient et entendent, ils semblent ne lever les mains que pour se protéger de la Lumière qui les éblouit.
Ce vitrail surplombe l’autel où se célèbre l’Eucharistie
La liturgie de la parole fait, aujourd’hui encore à la messe, dialoguer les prophètes (Elie) et la Loi, c’est-à dire tout le premier Testament avec l’Évangile, avec le Christ. L’injonction “Ecoutez-le” est toujours actuelle.
Ce vitrail prend toute sa signification à cet emplacement, “l’espace de Gloire”, espace très symbolique derrière l’autel, au fond du chœur. Cet espace manifeste que la célébration eucharistique, s’ouvre sur un au-delà, un “pas encore” que ce vitrail nous fait percevoir. Par la lumière du dehors qu’il diffracte, colore, par la Transfiguration annoncée et attendue il nous ancre dans l’Espérance chrétienne, dans la Foi en la Parole annoncée et entendue.
A nous tous qui sommes marqués par notre finitude, par le mal, par la défiguration ce vitrail nous dit qu’une Transfiguration s’opère déjà, que nous sommes appelés à la vivre en attendant de pouvoir “voir le Christ tel qu’il est, car nous lui serons devenus semblables“. (1 Jean 3, 2)
En entrant dans cette église, nous voyions comme dans un kaléidoscope l’éclat des verres constituant le vitrail, sans pouvoir en distinguer le ou les sens. Le kaléidoscope (du grec, kalos=beau, eidos=image, skopein= regarder) a bien fonctionné, réfléchissant presqu’à l’infini, à travers ses verres colorés, la diversité et la richesse du message biblique tel que l’a entendu le maître verrier et tel que peut le comprendre chacun de ceux qui le contemple. En nous éclaboussant de sa lumière, il nous donne de regarder une image qui n’est pas figée, qui fait appel à de multiples harmoniques pour nous introduire à la vision d’un monde transfiguré.
Saint Victor
L’église est dédiée à St Victor, soldat romain qui mourut martyr à Marseille en 303 ou 304 sous le règne de Dioclétien.
Ce prénom fait partie des prénoms romains que les Chrétiens aimaient donner à leurs enfants : Re-né, parce que rené dans le baptême, Maxime parce que grand en Christ, Félix, parce qu’heureux éternellement…. Victor parce que participant de la victoire du Christ sur la mort etc…
Dans la chapelle Saint-Victor située près du chœur sur le bas côté gauche, sa statue moderne en plâtre le présente en tenue de soldat romain, debout, appuyé sur un bouclier, tenant dans la main droite portée à son cœur, une croix, trophée incontesté de la victoire pour les Chrétiens des premiers siècles.
Catherine de Salaberry
Bibliographie
Le patrimoine de Guyancourt site de la ville
Eglise St Victor Guyancourt, Brochure de l’Association paroissiale de Guyancourt
Marc commenté par Jérôme et Jean Chrysostome, « Les Pères dans la Foi », DDB, 1986
J.M.Père TEZE, Théophanies du Christ, Desclée Paris, 1988
Père KLASEN, professeur à l’Institut catholique de Paris : quel espace liturgique pour les églises ?
François GARNIER, Le langage de l’image au Moyen-Age, “Signification et symbolique”, Le Léopard d’Or, Paris, 1982