Qui a tué Jésus ?
La Semaine sainte nous invite réfléchir et à revenir, textes à l’appui, sur cette question des ‘responsables de la mise à mort du Christ, Messie’.
Image de couverture : chemin de Croix de Guernes – Ernest Gabard (1953) ©Service diocésain d’Art Sacré
Qui a tué Jésus ?
Certains chrétiens ont répondu pendant des siècles de façon erronée à cette question. Ils ont accusé le peuple juif d’être responsable de la mort de Jésus. C’est ce que l’on a appelé « l’accusation de peuple déicide ». Le terme de « déicide » fait référence à la crucifixion de Jésus-Christ et signifie littéralement « meurtrier de Dieu ».
Il est important de rappeler alors des éléments d’histoire, et parallèlement de revenir aux sources du magistère, c’est-à-dire de l’enseignement de l’Eglise à ce propos.
Plusieurs actes majeurs des Papes (en particulier Jean-Paul II, Benoit XVI et François) et de nos évêques ont été posés, afin de demander pardon au nom de l’Eglise au peuple juif pour cette grave accusation. C’est dans l’espérance et avec la volonté d’aller de l’avant, en s’appuyant sur une fraternité renouvelée, que l’Eglise a eu le désir de clarifier les circonstances de la mort du Christ.
L’accusation de « déicide », c’est-à-dire le fait d’avoir « assassiné Dieu » en la personne de Jésus-Christ, remonte au IIe siècle : Justin de Naplouse s’adresse aux Juifs en disant : « Après avoir tué le Christ, vous n’en avez pas même le repentir », puis Méliton de Sardes affirme : « Dieu est assassiné par la main d’Israël », suivi par un certain nombre de Pères de l’Église. C’était une époque de persécutions où il fallait disculper au maximum les romains ; on accuse donc les juifs d’être les seuls responsables de la mort du Christ. Pour marquer les esprits, on passe de ‘responsables de la mort de jésus’ au ‘peuple entier’. Ce thème du “peuple déicide” a constitué pendant des siècles le principal argument de l’antijudaïsme chrétien, nourrissant humiliations et persécutions contre les juifs.
Jules Isaac, artisan avant Vatican II de la réconciliation entre Juifs et Chrétiens, a œuvré inlassablement afin de changer le regard que les chrétiens portaient sur le peuple juif. Pour lui cette accusation fait partie des « mythes tendancieux » du christianisme : « le mythe de Jésus méconnu […] et finalement crucifié par le peuple juif réfractaire et aveugle, d’où s’ensuit le terrifiant mythe – à lui seul plus meurtrier que tous les autres – du crime de “déicide” ». D’où cet « enseignement du mépris » qui s’exprime et se met en place au fil du temps envers le peuple juif à travers par exemple l’office des Ténèbres du Vendredi saint, ou les Impropères : hymne encore chanté aujourd’hui… reproches du Christ à son peuple l’ayant rejeté, et à partir du VIIe siècle l’oraison Oremus et pro perfidis Judaeis qui invite à prier pour les ‘Juifs perfides’… Dans la pratique, ces thèmes se sont confondus, et le Vendredi saint a longtemps été synonyme d’agressions contre les Juifs, voire de massacres dans de nombreux pays d’Europe. Les pogroms en Russie, en Pologne et ailleurs étaient traditionnellement liés au Vendredi saint.
Face à cette fausse croyance, le pape et les évêques ont réaffirmé la responsabilité de tout pécheur dans la mort du Christ.
- Dès 1566, le Catéchisme du concile de Trente précise que les responsables de la mort du Christ sont les pécheurs de toute l’humanité, non les Juifs seuls.
« Il faut ensuite exposer les causes de la Passion, afin de rendre plus frappantes encore la grandeur et la force de l’amour de Dieu pour nous. Or, si l’on veut chercher le motif qui porta le Fils de Dieu à subir une si douloureuse Passion, on trouvera que ce furent, outre la faute héréditaire de nos premiers parents, les péchés et les crimes que les hommes ont commis depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, ceux qu’ils commettront encore jusqu’à la consommation des siècles […]. Les pécheurs eux-mêmes furent les auteurs et comme les instruments de toutes les peines qu’il endura. »
(1re partie, chapitre 5, § 3) :
« Nous devons donc regarder comme coupables de cette horrible faute, ceux qui continuent à retomber dans leurs péchés. Puisque ce sont nos crimes qui ont fait subir à Notre-Seigneur Jésus-Christ le supplice de la Croix, à coup sûr, ceux qui se plongent dans les désordres et dans le mal (Hebr., 6, 6.) crucifient de nouveau dans leur cœur, autant qu’il est en eux, le Fils « de Dieu par leurs péchés, et Le couvrent de confusion. Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre (Cor., 2, 8.), s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne L’auraient jamais crucifié. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides. »
- Le Concile Vatican II met fin aux accusations de déicide.
Dans le Concile Vatican II, la quatrième partie de Nostra Ætate, consacrée au judaïsme, inclut le passage suivant :
« Encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ), ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les Juifs vivant alors, ni aux Juifs de notre temps. S’il est vrai que l’Église est le nouveau peuple de Dieu, les Juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits, comme si cela découlait de la Sainte Écriture. Que tous donc aient soin, dans la catéchèse et la prédication de la parole de Dieu, de n’enseigner quoi que ce soit qui ne soit conforme à la vérité de l’Évangile et à l’esprit du Christ. »
La déclaration mentionne une fois l’expression « peuple juif » :
« Elle [l’Église] rappelle aussi que les apôtres, fondements et colonnes de l’Église sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l’Évangile du Christ. »
- Le Catéchisme de l’Eglise catholique (art no 597) réaffirme que les Juifs ne sont pas responsables de la mort de Jésus et reprend l’argument du concile de Trente sur l’« ignorance » du peuple juif.
« En tenant compte de la complexité historique du procès de Jésus manifestée dans les récits évangéliques, et quel que puisse être le péché personnel des acteurs du procès (Judas, le Sanhédrin, Pilate) que seul Dieu connaît, on ne peut en attribuer la responsabilité à l’ensemble des Juifs de Jérusalem, malgré les cris d’une foule manipulée et les reproches globaux contenus dans les appels à la conversion après la Pentecôte. Jésus Lui-même en pardonnant sur la Croix et Pierre à sa suite ont fait droit “à l’ignorance” (Ac3:17) des Juifs de Jérusalem et même de leurs chefs. »
De Jules Isaac à Jean Paul II… et François :
« Jules Isaac a frappé à la porte. Le Concile Vatican II l’a ouverte par la Déclaration Nostra Aetate. Il fallait dès lors avancer sur le chemin de la reconnaissance mutuelle des Juifs et des Chrétiens. Mais il était impossible de passer par profits et pertes deux millénaires ensanglantés. Il fallait, pour tracer les chemins de l’avenir, clarifier et assumer le passé ». La Promesse, Jean-Marie Lustiger.
Que cette montée vers Pâques renouvelle et raffermisse notre foi, enracinée dans le Christ, Lumière pour éclairer les nations.
Pour aller plus loin : textes de la Commission biblique pontificale pour la catéchèse.
Le peuple juif et ses saintes écritures dans la Bible chrétienne,