A Coignères, Noé figure du Christ ressuscité
Les vitraux historiés de l’église Saint-Germain-d’Auxerre à Coignières (Yvelines) , créés en 1974-1975 par Gabriel Loire, éclairent et illuminent le chœur médiéval. L’un d’eux allie l’Ancien et le Nouveau Testament et raconte l’histoire du Salut dans la Bible.
Vitrail typologique du Salut
Dans notre diocèse, riche en patrimoine religieux, il ne faut pas manquer d’aller voir, à Coignières, l’église St Germain d’Auxerre. Elle a connu de nombreuses vicissitudes et restaurations depuis sa fondation au 12-13ème siècle.
Regardons le premier vitrail à droite du chœur. Il allie, en une lecture riche et savoureuse, l’Ancien et le Nouveau Testament et récapitule, en deux lancettes et un “ajour” (1), l’histoire du Salut dans la Bible.
De bas en haut, nous reconnaissons l’homme et la femme expulsés du paradis par Dieu lui-même, sous les traits du Christ (Gn 3,23), puis, à droite, Noé debout les bras en croix à la proue de son arche.
Au second niveau Abraham étreint le fils unique, le bien-aimé devant le bélier du sacrifice ; sur le panneau voisin Moïse présente les deux tables des Dix Paroles.
Au troisième niveau David chante les merveilles de son Dieu juste en dessous du Temple de Jérusalem, construit par son fils Salomon, tandis que, sur le panneau de droite, Jésus se laisse baptiser par Jean-Baptiste, “pour que soit accomplie toute justice ” (Mt 3,15) ; l’Esprit-Saint descend, tel une colombe, sur Jésus et sur tous les éléments de la lancette qu’elle surplombe.
A l’arrière-fond de ces panneaux se profile, en figurines sombres à peine visibles, la longue histoire du peuple de Dieu en marche : histoire douloureuse depuis le meurtre d’Abel par Caïn, mais aussi pleine d’espérance quand Dieu promet à Abraham une descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel. Les grandes figures de Noé, d’Abraham, de Moïse, de David évoquent le Salut promis. Ils “préfigurent”, c’est-à-dire annoncent, mais de façon encore voilée, le Messie, le Christ.
L’Arche d’Alliance couronne l’ensemble du vitrail, dans un petit “ajour”. Elle rappelle la présence du Dieu invisible au milieu de son peuple en marche. Ce curieux terme d'”arche” (ce nom dérive du latin arca, qui signifie boîte) est spécifique à l’Arche de Noé et à l’Arche d’Alliance, qui évoquent toutes deux l’engagement de Dieu envers son peuple auquel il est toujours et mystérieusement présent.
L’arche d’Alliance est l’un des attributs de Marie-Eglise que chantent les litanies de la Vierge, dont les images émaillent d’autres vitraux de Coignières. Comme l’Arche d’Alliance qui renfermait ” un vase d’or contenant la manne… et les tables de l’Alliance“(He 9,4), Marie porte aux hommes celui qui est Verbe-Parole de Dieu et Pain de Vie.
Ce sont donc deux figures de l’Arche qui introduisent et couronnent ce vitrail.
Panneau de l’Arche de Noé
Sur le panneau, en bas, à droite du vitrail, c’est Noé qui attire d’abord notre regard par sa stature, sa présence, le calme qui émane de lui. La Genèse nous dit que “seul parmi ses contemporains, Noé était un homme juste, intègre, et marchait avec Dieu” (Gn 6,9) et c’est ce qu’exprime magnifiquement ce vitrail qui voit en lui, comme le dit Méliton de Sardes (2) au 2ème siècle, “le pilote de l’Arche du Salut”.
Vêtu d’un vêtement sacerdotal, en prière, les bras en croix, il préfigure le Christ, “le bon pilote qui sauve les hommes du “naufrage du monde” (3) selon le Pseudo Hippolyte. C’est par la Foi que Noé pilote l’arche et non à l’aide d’instruments de navigation (totalement absents du vitrail comme du texte biblique). “Noé en tout et dans tous ses actes annonce le Christ“, récapitule de façon lapidaire Isidore de Séville (4) dans son commentaire de la Genèse.
Arche figure de l’Eglise
Alors que “le mal s’était multiplié sur toute la terre” (Gn 6,5) Noé, à la demande de Dieu, fait monter dans l’Arche les 7 membres de sa famille puis, des animaux de chaque espèce, purs et impurs (Gn 6,2), animaux qui représentent souvent, dans la Bible, les hommes.
Or, ce sont justement un âne (animal impur) et un bœuf (animal pur) que nous voyons réunis au premier pont de l’arche, réunis comme dans les images de la Nativité : leur présence ici ne serait-elle pas un clin d’œil du maître verrier au prophète Isaïe (1,3). L’Arche est bien une figure de l’Eglise par la variété de ceux qu’elle abrite, purs et impurs, loups et agneaux…. selon les pères de l’Eglise qui répètent à l’envie que l’Eglise est constituée de justes et de pécheurs.
Et c’est toujours aujourd’hui autour de la “mangeoire” eucharistique que Jésus veut rassembler les hommes du monde entier, “les hommes qu’il aime” (Lc2, 12-14), quels qu’ils soient.
L’arche, qui porte ici l’église de Coignières reconnaissable à son haut clocher du 19ème et aux embrasures de ses abat-sons, est une figure “de la grande Arche de Dieu qu’est l’Eglise” selon St Epiphane (5). Elle laisse derrière elle la Tour de Babel, construite pour “que son sommet pénètre les cieux” (Gn 11,4) et qui symbolise le désir des hommes de toucher le ciel par eux-mêmes. La lune et les étoiles qui brillent à son sommet évoquent la nuit et peut-être les cultes idolâtres dont les antiques stèles mésopotamiennes conservées au Louvre ont gardé la trace.
Tous les éléments de lieux, de temps se télescopent sur ce vitrail, interdisant d’en faire une lecture anecdotique ou “historique”. La pluie continue de tomber, bien drue à l’arrière-plan, et les eaux couvrent la surface de la terre, noyant le mal qui l’avait pervertie (Gn 6,12). Le soleil brille de tout son éclat, faisant naître un arc en ciel qui unit ici l’arche à la nuée du ciel :
“Quand l’arc sera dans la nuée, je le verrai et me souviendrai de l’Alliance éternelle qu’il y a entre Dieu et tous les êtres vivants” (Gn 9,16).
Ni cadavre, ni montagne en vue : l’arche continue de fendre les flots et d’avancer. La colombe qui ne revient plus dans l’arche au troisième envoi (Gn 8,12) s’envole pour porter au monde, aujourd’hui comme hier, le rameau d’olivier tout frais de la vie nouvelle et de la paix :”La colombe qui, jadis, lors du déluge est revenue en hâte à l’arche de Noé est celle-là même qui maintenant vient à l’Eglise…” écrit Maxime de Turin (6).
Le baptême de Jésus
Si le maître verrier a peu développé, dans ce panneau de l’Arche, la symbolique baptismale du Déluge récurrente chez les Pères ; c’est qu’elle est mise en pleine lumière dans le dernier (ou le premier !) panneau, tout en haut du vitrail. Le Baptême du Christ récapitule et accomplit tous les autres panneaux de ce vitrail, et spécialement celui du déluge. Maxime de Turin (7) souligne ce lien : “Grâce au déluge, le mal fut anéanti et la justice sauvegardée ; le juste échappa et les péchés des méchants eurent un terme ; la face de la terre se trouva renouvelée par les eaux comme par un baptême… Oui le déluge est la figure du baptême” (7), du “baptême du monde” précise Tertullien (8).
Nous entendons mieux maintenant cette très belle bénédiction de l’eau baptismale, prononcée lors de la veillée pascale et que tout le vitrail visualise :
Dès les commencements du monde, c’est ton Esprit qui planait sur les eaux pour qu’elles reçoivent en germe la force qui sanctifie.
Par les flots du déluge, tu annonçais le baptême qui fait revivre, puisque l’eau y préfigurait également la mort du péché et la naissance de toute justice.
Aux enfants d’Abraham, tu as fait passer la mer Rouge à pied sec pour que la race libérée de la servitude préfigure le peuple des baptisés.
L’Ancien Testament devient clair dans le Nouveau dit Origène. L’iconographie des vitraux, sous-tendue par la lecture patristique et médiévale des textes, en donne maints exemples. Et c’est toujours vérifié, à Coignières, à la lecture de ce vitrail contemporain “inspiré”. Nous y voyons, de nos yeux ouverts par les harmoniques bibliques, que c’est déjà Jésus-Christ, “Parole éternelle du Dieu vivant”, qui, en Noé, sauve le monde du déluge de la mort, aujourd’hui et demain comme hier.
Catherine de Salaberry
Notes
(1) Ajour : partie ajourée d’une baie
(2) Méliton de Sardes, évêque, 2ème moitié du IIème siècle (Asie mineure) “Sur la Pâque et fragments” Sources chrétiennes n° 123 Fragment 15.
(3) Pseudo Hippolyte ; 1ère moitié du IIIème (Rome ?) “Sur la Sainte Théophanie 4”.
(4) Isidore de Séville Evêque fin VIème-début VIIème “Commentaire de la Genèse 7,1″
(5) St Epiphane de Salamine, évêque, fin IVème, Chypre “Homélie sur l’ensevelissement du Christ” PG 43 col439-464 ; 186-189.
(6) Maxime de Turin évêque fin IVème ; sermon 64,2.
(7) Maxime de Turin Sermon pour le Carême n° 2-3 PL39, 2028. Cité dans ” Lire la Bible avec les Pères” Mediaspaul, t I p.39
(8) Tertullien Carthage, fin II début IIIème– Traité du baptême, 8,3-4
Bibliographie
Martine DULAEY “Des forêts de symboles” 2001 Livre de poche n°574
Jean DANIELOU “Sacramentum Futuri” Beauchesne1950